Pour celles et ceux qui parmi nous soutiennent les démocraties libérales et les valeurs fondamentales sur lesquelles a été fondée l'UE, la chute de Heinz-Christian Strache, Vice-chancelier autrichien d'extrême droite, a quelque chose de réjouissant. La vidéo désormais tristement célèbre de cette auto-destruction alimentée à l'alcool est en effet dévastatrice, à la fois pour l'homme, mais aussi plus largement pour la coalition politique qu'il a aidé à former.
Sur la vidéo, Strache et un autre homme politique autrichien boivent et causent avec une femme russe, supposément la nièce d'un oligarque milliardaire. Ils parlent d'une affaire : elle promet de faire des investissements pour des motifs politiques, notamment dans une entreprise médiatique qui deviendrait un organe de presse au service du parti de Strache, en échange de contrats de marchés publics lucratifs. C'est une affaire de corruption on ne peut plus classique : une figure politique offre de mettre ses pouvoirs à la disposition d'une entreprise ou d'une personne et de lui accorder illégalement des fonds et marchés publics en échange de cash et d'autres bénéfices.
La vidéo a mis fin à la carrière politique de Strache (au moins pour l'instant) et a provoqué l'écroulement du gouvernement, de nouvelles élections étant prévues en septembre. Mais que cela va-t-il entraîner pour le "style politique" prôné par Strache ? Il est difficile pour un.e représentant.e politique de maintenir une position de défense de la famille traditionnelle alors que dans le même temps, ce.cette dernier.e vole aux personnes qu'il.elle a promis de protéger... Les gens ont tendance à se rendre compte de ce choses, au bout d'un moment. Et les vidéos virales y contribuent pas mal.
Un "super groupe" de corrompu.e.s en Europe
Le parti de Strache, le FPÖ, le Parti de la liberté d'Autriche, fait partie d'une alliance de partis antivaleurs (contre les valeurs européennes) en Europe. Le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Salvini, est la figure forte de ce mouvement et espère créer un "super groupe" de partis antivaleurs lors des prochaines élections du Parlement européen. Strache, Viktor Orbán en Hongrie ou Marine Le Pen en France, ont tous été très enthousiasmés de la création d'un tel groupe politique européen. Et ces trois derniers sont tous accusés de corruption.
En Hongrie, la main mise sur le pouvoir de Viktor Orbán est très forte. Ses discours anti-immigrants, habilement diffusés par des médias contrôlés par l'État et sur des panneaux publicitaires scandaleusement antisémites, trouve écho dans une population qui, ces dix dernière, a été conditionnée (par sa politique) années à avoir peur des forces "anti-Hongrie". Mais la corruption pourrait bien être son talon d'Achille, et de nombreux signes nous indiquent que les Hongrois.e.s commencent à prendre conscience de ces pratiques illégales.
Le gouvernement Orbán a mis fin au programme de "Golden Visas", notamment en raisons de suspicions largement partagées selon lesquelles ce programme représentait à peu de choses près une stratégie visant à enrichir rapidement les amis d'Orbán. Plus récemment, 470 000 personnes ont signé une pétition appelant le gouvernement d'Orbán à rejoindre le Bureau du procureur public européen (EPPO, European Public Prosecutor’s Office) le nouvel organe anti-corruption de l'UE destiné contrôler l'utilisation des fonds européens. Orbán avait jusqu'à présent résisté à la pression, affirmant que cet organe allait trop interférer avec des questions nationales.
Et la situation d'Orbán est aggravée par l'absurdité de sa corruption. Son beau fils, Stephen Tiborcz, est à présent l'une des personnes les plus riches du pays, sa fortune dépassant les 100 000 millions d'euros (selon les estimations). La plupart de cet argent aurait été empoché à travers des pots -de-vin. Lui et ses amis, avec l'aide du gouvernement d'Orbán, ont trafiqué les procédures publiques d'octroi de fonds européens de développement pour un projet d'éclairage public. C'est uniquement grâce au travail des quelques journalistes qui sont restés indépendants dans le pays que nous connaissons la véritable étendue de la corruption dans cette affaire.
Il nous faut aussi citer un autre populiste bien-aimé, Matteo Salvini, la principale force derrière ce "super groupe" au sein du Parlement européen, que nous avons mentionné plus haut. Selon des journalistes d'investigation en Italie, Salvini aurait passé un accord avec la Russie pour financer ses campagnes électorales de l'an passé, même si cet accord aurait finalement échoué. Le pacte impliquait des représentants russes proches de Vladimir Poutine, qui auraient vendu 3 millions de tonnes de carburant diesel à une entreprise pétrolière italienne, dont les bénéfices auraient été reversés au parti de Salvini, la Lega.
Et les accusations de corruption ont repris de plus belle ces dernières semaines, après l'ouverture d'une enquête sur un haut conseiller de Salvini, accusé d'avoir accepté un pot-de-vin de 30 000 euros contre son soutien à certaines politiques énergétiques. Salvini a défendu son conseiller et refusé de le licencier, mais ce dernier a tout de même dû quitter son poste, malgré le soutien du ministre de l'Intérieur.
En France cette-fois ci, la Russie est aussi encline à échanger de l'argent contre la défense de ses intérêts ou d'autres formes de bénéfices. Et Marine Le Pen et son parti, le Rassemblement national, ont été réceptifs. Le RN a en effet emprunté plus de 9 millions d'euros à des banques russes afin de financer leur campagne lors des dernières élections présidentielles, après que des banques françaises ont refusé d'accorder un prêt au parti nationaliste. Le Pen serait aussi prête à "vendre" ses positions en matière de politique étrangère. Des textes et emails datant de 2015 ayant fuité montrent des discussions autour d'un soutien financier russe pour le parti de Le Pen, en échange de son soutien à l'annexion de la Crimée.
Mais la corruption de Marine Le Pen ne se cantonne pas à l'aide apportée par la Russie. En 2017, le Parlement européen l'a accusée d'avoir détourné 5 millions d'euros, dont la plupart ont été versés à des assistant.e.s de son parti qui ne travaillaient non pas pour des eurodéputé.e.s (comme cela devait être le cas) mais bien pour son parti national, en France (un usage illégal de l'argent des contribuants européen.ne.s). En 2018, la Tribunal de l'Union européenne, seconde juridiction de l'UE, a confirmé que Le Pen avait bien détourné des fonds publics, l'ordonnant à rembourser 300 000 euros. Et plus tard en 2018, une représentante de son propre parti a avoué qu'elle faisait l'objet d'une nouvelle enquête pour détournement de fonds publics en France.
Un problème généralisé en Europe, qui touche des partis de tout bord
Bien que tous les partis d'extrême droite majeurs soient impliqués dans des scandales de corruption, ce problème ne concerne pas uniquement l'extrême droite. Le groupe politique ALDE du Parlement européen rassemble majoritairement des partis centristes et pro-valeurs européennes. Mais ce groupe "abrite" aussi le parti ANO, au pouvoir en République tchèque et dirigé par Andrej Babiš, le premier ministre.
Ce dernier est accusé d'avoir détourné des millions en fonds européens de développement pour les reverser dans son entreprise personnelle, Agrofert, un conglomérat dans les secteurs de l'agriculture et de la chimie qui a fait de lui un milliardaire. Cette affaire a entraîné le Parlement européen a voté une résolution contre lui, appelant à la suspension de tout financement européen des activités de son groupe.
Le groupe de centre gauche des Socialistes et démocrates (S&D) compte lui quelques escrocs dans ses rangs : et des plutôt spectaculaires, pour dire vrai. Le groupe comprend la parti roumain PSD, qui a intégré la corruption comme l'une des fondations de la plateforme du parti. Nombre de ses membres occupant des postes à responsabilité, dont le leader du parti, Liviu Dragnea, ont fait l'objet d'enquêtes pour corruption. Et de nombreuses affaires ont été conclues par des condamnations, dont l'affaire concernant Liviu Dragnea. L'an passé, le gouvernement a oeuvré en vue d'adopter une loi qui permettrait d'annuler ces condamnations, offrant l'amnistie aux politiques corrompu.e.s et les autorisant à se représenter à des élections pour des postes à haute responsabilité.
Mais ce n'est pas tout. Le groupe S&D comprend aussi en son sein le parti slovaque SMER. Le meurtre du journaliste d'investigation Ján Kuciak en février 2018 a déclenché une vague de manifestations et renforcé, pour l'électorat, l'idée selon laquelle le parti SMER est profondément corrompu. A l'époque de son meurtre, Kuciak enquêtait sur des liens entre le gouvernement et la mafia italienne. L'enquête confuse et léthargique gouvernement sur cet assassinat n'aura aucunement aidé à apaiser les préoccupations de l'électorat. Dans trois semaines, l'avocate anti-corruption Zuzana Čaputová deviendra la première ministre du pays, après avoir remporté une victoire inattendue, sur la promesse d'éradiquer la corruption dans le pays.
De nouvelles élections, de nouvelles têtes ?
Il serait tentant de voir une part de vérité dans cette boutade, signée Henry Kissinger, selon laquelle "Les politiciens corrompus donnent une mauvaise image des 10% restant". Des preuves accablantes attestent du fait que certains des responsables politiques européens les plus populaires et célèbres et leurs proches, sont profondément corrompu.e.s. Et c'est un problème. Oui, les représentants politiques devraient partager les valeurs de leurs électeur.trice.s, et cela devrait déranger ces dernier.e.s quand ils ne le font pas. Mais la corruption n'a pas qu'une question morale. Elle retire des sommes considérables d'argent de nos PIB, représentant un coût financier en UE estimé à 950 milliards d'euros par an. Tout cela freine la croissance des entreprises, la recherche et le développement de nouvelles infrastructures et technologies. La corruption nous empêche d'avancer, nous empêchant d'atteindre des sociétés plus riches, plus sûres et avancées.
Mais bien que la corruption semble être un problème généralisé en Europe, et au sein du Parlement européen, son étendue est encore plus grande que sa "profondeur". La plupart des eurodéputé.e.s et plus largement la plupart des partis politiques dont ils.elles sont membres ne sont pas trempés jusqu'au coup dans des affaires de corruption et n'ont pas peur d'y être officiellement fermement opposé.e.s. L'Europe serait bien plus sûre si tous nos représentants politiques avaient ce courage et partageaient ces principes. Et, enfin, c'est à nous, électeur.trice.s de dire si c'est le cas ou non.
C'est sans doute à cela qu'il faudrait penser sur le chemin des urnes.