En 2018, lorsque la Pologne a adopté une loi punissant toute personne suggérant que le pays avait collaboré avec les Nazis et participé au crimes de guerre, l'indignation n'a pas tardé à venir et s'est fortement généralisé, à tel point que de nombreux experts estimaient que le gouvernement avait commis une grave erreur de calcul. Mais l'avait-il seulement fait ? Et si tout ce tumulte n'était finalement pas voulu par le gouvernement ?
Tous les principaux médias européens ont fait leur unes sur cette loi relative à l'Holocaust, faisant de cette législation controversée un incident de dimension internationale. Il est difficile d'imaginer qu'il était aussi important que cela pour le parti au pouvoir, le PiS, que la loi soit adoptée. Bien sûr, la loi en question plaît aux plus nationalistes des sympathisant.e.s du parti, mais elle ne contribue pas à unifier sa base d'électeurs, et n'aura fait que marginaliser davantage leur plateforme. Et malgré ce que certains ont pu dire, la réponse a été plutôt prévisible : prenez le sujet d'histoire le plus sensible du continent et élaborez une loi qui freine toute volonté d'enseigner cette histoire et d'en discuter, et vous êtes sûrs de mettre en colère les juifs et non-juifs : vous avez tous les ingrédients en main pour provoquer une indignation internationale. Et c'est voulu.
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Tandis que le monde devient obsédé par cette loi sur l'Holocaust, le gouvernement PiS, pendant ce temps-là, en profite pour adopter des changements législatifs qui sont bien plus importants à ses yeux, et beaucoup plus préjudiciables et désastreux pour la démocratie polonaise. Il s'agit ici de réformes provoquant un renversement total du processus électoral du pays. Les changements ont d'énormes conséquences : les représentants en charge des élections sont désormais presque tous sélectionné.e.s par le gouvernement. Alors que la Commission nationale électorale, en charge de superviser et valider les élections, était auparavant composée de neuf juges nommés de manière égale par les trois plus hautes juridictions du pays (à savoir le Tribunal constitutionnel, la Cour suprême et la Cour suprême administrative), cet organe ne sera désormais composé que de deux juges nommés ainsi, les sept autres étant à présent nommés directement par la chambre basse du Parlement. À cette sélection du gouvernement des juges de la Commission électorale, s'ajoute aussi une redéfinition des circonscriptions électorales, et une révision des tous changements faits par des gouvernements locaux indépendants.
Toutes ces mesures donnent au gouvernement des pouvoirs extraordinaires, lui assurant justement de garder le pouvoir. Ce dernier n'a jamais donné d'explication sérieuse pour expliquer ces réformes, mais les raisons paraissent évidentes. La main mise sur le pouvoir du PiS n'a jamais atteint un niveau aussi élevé, et comparable à celui de régimes populistes voisins (nous parlons de toi, la Hongrie). Le PiS est devenu majoritaire suite aux élections de 2015, où le parti avait remporté 235 sièges sur 460 au Parlement (un peu plus de 50% des sièges). Mais c'est en s'appuyant sur à peine 37,6% des votes que le parti est parvenu à obtenir la majorité. Un tel environnement est donc propice à la mise en place d'un gouvernement aux pratiques autoritaires et abusives, faisant tout pour conserver son pouvoir.
Mais, qu'est-elle devenue, la loi sur l'Holocaust ? Le gouvernement a décidé de faire marche arrière et de retirer les parties les plus "conflictuelles", l'assouplissant au point que la loi n'est presque plus contraignante légalement... Et devinez quoi ? Tout cela est aussi prévisible : vous reculez sur une question qui n'est pas si importante à vos yeux, et offrez à vos opposants un petit goût de victoire, mais au final, vous obtenez ce que vous vouliez vraiment, sans crise et sans faire le moindre bruit.
Toutes ces manoeuvres sont tout droit sorties de la stratégie utilisée par les autoritaristes dans le monde entier. Poutine consolide son pouvoir en jetant en prison ou en assassinant ses opposant.e.s, les gouvernements hongrois et polonais le font en contrôlant les médias et les tribunaux et en modifiant les lois afin de remporter plus facilement les élections. Certains de ces changements attirent bel et bien l'attention du public au niveau national et international, mais la plupart du temps, ce n'est pas le cas. C'est là où les ONG, une autre cible des gouvernements autoritaires, arrivent dans le jeu. Nous, ONG, interpelons les gouvernements lorsqu'ils abusent de leurs pouvoirs, surtout si la question concernée n'obtient pas l'attention et la couverture médiatique qu'elle mérite.
La démocratie sur son lit de mort ?
Jamais auparavant les valeurs de l'UE n'avaient été aussi gravement menacées. Et les agresseurs font partie des États membres. Pour des raisons politiques, il s'avère difficile pour l'UE de protéger ses propres intérêts, mais ce qui est vraiment en jeu ici, c'est bien la force des démocraties dans l'ensemble du bloc. Initialement, la loi polonaise sur l'Holocaust représentait bien un risque important pour la liberté d'expression et pour d'autres droits fondamentaux, mais ne constituait pas en soi-même un coup de massue sur l'état de droit dans le pays. Les réformes sur le processus électoral, elles, si.
La démocratie ne meurt généralement pas à coup de lois qui à elles seules provoquent l'indignation internationale. Le plus souvent, elle est tuée dans le silence, à travers des changements graduels qui sont apportés pendant que le public est occupé à tomber dans les diversions créées par le régime en place.
Si vous voulez que vos ami.e.s et proches en sachent plus sur la stratégie des autoritaristes, partagez notre Guide de survie face à l'autoritarisme, une série de vidéos instructives et pratiques pour éviter les pièges tendus par les populistes.