MISE À JOUR du 6 février 2017 - Le gouvernement a finalement décidé d'abroger le décret à l'origine des manifestations populaires de la semaine dernière. Celles-ci se poursuivent néanmoins. Dimanche 5 février, la Roumaine a connu ses plus importantes manifestations depuis la chute du communisme. Plus d'un demi-million de personnes ont demandé au gouvernement de renoncer à ce décret et ont demandé à plus de transparence et la garantie d'une indépendance judiciaire. Sur les réseaux sociaux, les roumains déclarent vouloir continuer à manifester.
Depuis maintenant deux semaines, la Roumanie est le théâtre d'un affrontement sans précédent, opposant d'un côté le PSD (parti social démocrate), vainqueur des élections de décembre 2016, et de l'autre côté, tous les autres...
Indignation
Moins d'un mois après que le PSD a pris le pouvoir, des centaines de milliers de roumains ont pris les rues après que le nouveau gouvernement a adopté, dans la nuit du 31 janvier, un décret d'urgence qui décriminalise certaines formes de corruption, tel que l'abus de pouvoir en introduisant un seuil minimum de préjudice de 200 000 lei (soit 44000 euros).
Cette mesure favorise de nombreux représentants politiques faisant l'objet d'enquête pour corruption ou ayant été condamnés pour un tel crime.
Parmi ces représentants, on retrouve le leader du PSD, Liviu Dragnea, déjà condamné à une peine de prison de deux ans avec sursis, qui fait actuellement l'objet d'une enquête pour abus de pouvoir. Bien que son parti a gagné les élections, il ne peut pas devenir premier ministre, tout du moins officiellement, la faute à son casier judiciaire.
L'indignation du peuple roumain est partagée par le judiciaire et le président de la Roumanie. Tous critiquent vivement ce décret, furtivement adopté (sans passer devant le parlement). Augustin Lazar, procureur général de Roumanie, Laura Kovesi Codruţa, présidente de la Direction nationale anti-corruption (DNA), le président Klaus Johannis ainsi que des associations de juges et magistrats: tous sont du même avis.
Ils considèrent en effet que le décret affectera de manière négative la lutte contre la corruption, car il vise à décriminaliser la corruption perpétrée par des hommes et femmes politiques et des fonctionnaires publics, invalidant ainsi le travail réalisé par les juges anti-corruption de la DNA dans plus de 2000 enquêtes actuellement ouvertes.
Manifestations en Roumanie et à l'étranger
Les roumains sont en colère. Principalement parce qu'avant que ce décret ne soit adopté, ils avaient déjà investi la rue et avaient massivement manifesté à trois reprises à Bucarest et dans une vingtaine de villes dans le pays afin de s'opposer à ce décret et à d'autres mesures visant au pardon collectif des personnes condamnées pour corruption. Le gouvernement a quant à lui défendu ces mesures sous couvert de lutte contre la surpopulation carcérale.
Puis le gouvernement a décidé, sans demander l'avis obligatoire des institutions judiciaires, de laisser tomber le pardon collectif tout en maintenant le décret portant sur la corruption.
En réponse, les roumains ont investi massivement les rues de la capitale des autres villes importantes du pays, demandant le retrait de la loi, qui est censé entrer en vigueur ce samedi 11 février.
Des manifestations de solidarité ont également été organisées par les communautés roumaines établies dans des villes européennes, et de nombreux leaders européens ont exprimé leurs inquiétudes vis-à-vis de l'état de la corruption en Roumaine (et de la lutte), avertissant que le gouvernement ne devrait pas revenir sur les progrès réalisés en la matière ces dernières années. Le Parlement européen a discuté de la situation le 2 février dernier, et continue superviser les développements dans le pays. La Roumaine est encore sous la supervision du Mécanisme de coopération et de vérification, justement à cause de la corruption.
Même l'Église orthodoxe roumaine, connue pour être une alliée du PSD et généralement proche du pouvoir en place, a publié une déclaration dans laquelle elle reconnaît l'importance du combat contre la corruption et appelle le gouvernement à retirer l'ordonnance.
De même, de nombreux membres du PSD dont des membres du parti, des maires, ainsi que le ministre du commerce, ont présenté leur démission, déclarant tous ne pas soutenir le décret.
Le judiciaire à la rescousse?
Malgré toutes les manifestations et les critiques à l'échelle nationale comme internationale, le leader du PSD et le gouvernement ont annoncé qu'ils ne retireraient pas le décret, en affirmant que l'opposition ment et que le décret ne fait qu'adapter le droit pénal à la constitution.
Pendant ce temps, le décret a été contesté devant la Cour constitutionnelle par le président de la Roumanie, le Conseil supérieur de la magistrature et le défenseur des droits. La Roumaine attend désormais la décision de la Cour, espérant qu'elle sera rendue avant l'entrée en vigueur du décret, ce vendredi 11 février.
D'ici-là, des centaines de milliers de roumains vont continuer de prendre les rues et de manifester pacifiquement, dont de nombreuses personnes ayant donné leur voix au PSD lors des dernières élections. Chaque soir, malgré des températures négatives, les roumains sortent dans la rue, accompagnés de leurs enfants, de leurs animaux domestiques et de pancartes et affiches, et se réunissent sur des places centrales pour manifester leur mécontentement et leur colère à l'égard du gouvernement.