Comme en Hongrie, en Pologne ou dans d'autres pays de l'UE, le gouvernement roumain a été très actif dans l'élaboration de textes de projets de loi visant les activités des organisations non gouvernementales. En cas d'adoption, de nombreuses mesures législatives actuellement en discussion au parlement risquent de fortement restreindre le droit fondamental du public à manifester et le droit des citoyen.nes d'amener le gouvernement à rendre des comptes. Bien que l'année ait commencé sur une note positive pour les ONG, les roumain.es doivent désormais et plus que jamais rester vigilant.es pour défendre leurs libertés et leurs droits.
Le peuple avant tout
Début janvier, le gouvernement nouvellement formé de Sorin Grindeanu a utilisé une mesure d'urgence afin de forcer le passage d'un décret visant à décriminaliser certaines formes de mauvaises conduites de la part de responsables du gouvernement. Ce dernier a également proposé d'amender le Code pénal en vue de décriminaliser les abus de pouvoir quant le montant de l'argent détourné était inférieur à 200000 lei roumains (soit environ 43000 euros).
Le décret était présenté comme étant nécessaire à l'endiguement de la surpopulation carcérale dans les prisons du pays, la corruption dans le pays étant endémique et beaucoup (et la part de personnes condamnées pour corruption étant très élevée dans les établissement pénitentiaires). En 2016 seulement, 30 fonctionnaires de haut-rang ont été condamnés pour corruption, dont d'anciens ministres et le directeur adjoint de la banque centrale. Mais les Roumain.es ont plutôt vu ce décret et l'amendement du Code pénal comme un moyen grotesque de laver des responsables et fonctionnaires des crimes commis dans le passé et de protéger les élus de futures enquêtes pour corruption.
Par conséquent, des manifestations se sont rapidement organisées en réponse à ces réformes, à Bucarest et dans d'autres villes du pays. Les groupes de la société civile sont parvenus à mobiliser des dizaines de milliers de personnes et ce sur plusieurs jours. Le 5 février, près de 500000 personnes sont descendus dans la rue demander la démission du gouvernement : il s'agit de la plus grande manifestation organisée depuis la chute du dictateur Ceausescu.
La réponse n'aura ensuite pas tarder à venir : le décret a été annulé le jour-même et le le 8 février, le parlement a voté une motion de censure contre le gouvernement. Ce dernier a survécu, ou presque : les député.es de la coalition au pouvoir se sont tou.te.s abstenu.es, empêchant les opposants d'atteindre les 50% de voix nécessaires.
Les libertés civiles menacées
Les manifestations réussies semblent avoir faire prendre conscience à de nombreux élu.es roumain.es de la véritable force de la société civile. Le peuple a bel et bien montré qu'il avait le pouvoir d'amener le gouvernement à rendre des comptes. Les responsables roumains, sans doute pris de panique après avoir découvert le pouvoir des citoyen.nes, ont quant à eux commencé à émettre des déclarations publiques et à élaborer des mesures législatives contre les ONG et la société civile afin de réduire leurs libertés et moyens d'actions.
Une semaine après l'annulation du décret, la ministre du travail, Olguta Vasilescu, a averti les manifestants qui continuaient d'occuper les rues, qu'une loi empêchait les parents de venir aux manifestations accompagné.es de leurs enfants.
Un autre député, Arges Catalin Radulescu a déclaré que la police devrait répondre aux manifestants avec des canons à eau. Et d'ajouter qu'il possédait encore une AKM (une arme d'assaut, version de l'AK47), qu'il avait acquis pendant la révolution, et qu'il serait prêt à en faire usage contre les manifestants.
Mais les mesures législatives peuvent causer bien plus de tort que de simples paroles. En mars dernier, un projet de loi a été soumis au Sénat, proposant la pénalisation de toute tentative visant à "entraver l'ordre constitutionnel", prévoyant jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Cette loi interdirait les manifestations publiques (y compris le type de manifestations qui se sont déroulées en février), les rendant illégales. Fort heureusement, ce projet de loi est encore à l'étude et il peut encore être arrêté.
Mais la mesure législative la plus inquiétante cette année est sans doute la proposition de loi visant à dissoudre de force toute ONG qui ne publierait pas de rapport sur leur budget de fonctionnement, et ce à raison de deux fois par an. Le projet de loi, soumis début juin, semble être une copie d'une loi similaire hongroise (qui elle-même s'inspire d'un texte russe) qui contraint les ONG recevant plus de 24000 euros de donations provenant de l'étranger à se déclarer en tant qu' "agent étranger".
Une lutte pour la survie
La réponses des ONG, contre cette loi de déclaration des budgets, a été "féroce". Plusieurs ONG, parmi lesquelles les organisations les plus importantes, dont APADOR-CH, membre du réseau Liberties, ont publié une lettre d'opposition au projet de loi et ont exhorté les députés à rejeter le texte. Et après une forte pression, ce dernier a été suspendu jusqu'à la fin de l'été.
Bien qu'il n'y ait eu que peu de réactions venant de l'étranger, peut-être dans l'espoir que les législateur.es roumain.es reprennent la voie de la raison, la situation n'a pour autant pas échappé à certains acteurs politiques de Bruxelles. En avril dernier, les député.es du groupe des Verts/EFA du Parlement européen (PE) ont émis une déclaration prévenant de la tentative du gouvernement roumain de "réduire les libertés et droits dont jouissent actuellement les citoyen.nes et la société". Si le gouvernement décide de rouvrir la discussion sur les projets de loi susmentionnés, des réponses plus fortes et plus largement soutenues seront à attendre de la part des eurodéputé.es.
Conter les campagnes de diffamation et les mesures visant les ONG, il est essentiel que ces dernières aient un fort soutien de la part du grand public, notamment en raison du danger que représentent ces mesures (qui vont au-delà des restrictions apparentes de nos droits). Les discours des responsables politiques attaquant le travail des ONG et même les menaces proférées contre leurs partisan.es peuvent facilement être vus comme un moyen de cautionner la violence. Nous avons déjà observé de telles attitudes dans d'autres pays de l'UE où le gouvernement a manifesté du mépris pour les libertés civiles. Le passage à tabac (motivé par des raisons politiques) d'une membre d'une ONG slovaque en septembre 2016 ainsi que le saccage des bureaux d'une ONG de défense des droits LGBT en Pologne en juin de cette année, ne sont que deux exemples d'une longue liste.
En réalité, nous assistons déjà à l'émergence de ce type de violences en Roumanie : en juin, un homme a été tabassé alors qu'il se rendait à la Marche des fiertés de Bucarest, pour simplement avoir porté des vêtements aux couleurs de l'arc-en-ciel (les couleurs du drapeau LGBT). Quand les responsables politiques menacent publiquement de faire usage de la violence, comme Monsieur Arges Catalin Radulescu, cela constitue pour d'autres une approbation tacite de tels actes.
Alors que les député.es du pays font leur rentrée, les mesures décrites plus haut pourraient revenir à l'ordre du jour. Cette année a bien commencé par une note très positive pour les organisations de défense des libertés, mais elles sont devenues la cible des responsables politiques qui ne veulent pas avoir à rendre de comptes à leurs concitoyen.nes. En Roumanie, ainsi que dans d'autres pays de l'UE, les ONG entrent à présent dans les premières étapes d'une nouvelle lutte. Une lutte pour leur survie et pour la survie de la démocratie et de l'état de droit.