La Ligue des droits de l’Homme (LDH) a réalisé une première analyse « à chaud » de l’Accord en se focalisant, dans un premier temps, sur trois volets : la justice, la sécurité et, de manière succincte, les droits économiques, sociaux et culturels. Si une analyse approfondie de ces volets - et des autres également - sera réalisée dans les semaines qui viennent, les premières analyses de la LDH conduisent aux conclusions suivantes : le gouvernement semble opposer « bon sens » et « sens commun » et, contrairement à ce qu’il annonçait, de nombreuses réformes manquent d’imagination et ressemblent furieusement à des retours en arrière via l’application de recettes qui ont déjà fait la preuve de leur inefficacité.
Certaines mesures, entre autres en matière de Justice, constituent des exceptions notables. La LDH ne peut en effet que se réjouir du fait que la volonté de réformes sérieuses annoncées dans le domaine de la Justice semble être assortie de mesures pouvant aboutir à une amélioration de son application. La mise sur pied annoncée de deux commissions multidisciplinaires pour plancher – enfin ! – sur une révision du Code pénal et du Code d’instruction criminelle constituent une tâche ardue mais utile et nécessaire qu’il s’agit de saluer.
Certaines orientations prises en la matière nous apparaissent également encourageantes. La mise en place de peines alternatives réellement substitutives à l’emprisonnement, la lutte contre la criminalité financière, la recherche de formes alternatives de résolution de conflits, comme la médiation pénale, ou la mise en œuvre complète de la loi de principe concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique du détenu constitueraient, si elles aboutissent, un progrès sensible.
Ces mesures positives nous semblent être moins des mesures de « bon sens » que des mesures correctives, d’autant plus indispensables que certaines situations – comme l’arriéré judiciaire ou la prise en charge mieux adaptée des internés, tant en matière d’infrastructures que de suivi et de soins, avaient été maintes fois été condamnées par la Cour européenne des droits de l’Homme.
Du flou et de l'inquiétude
Mais force est de constater que de nombreuses autres mesures annoncées posent au mieux question et, au pire, suscitent une inquiétude légitime en ce qu’elles s’attaquent à certaines franges de la population (les détenus, les sans-abris et, de manière larvée, les personnes en situation précaire). Or, un gouvernement qui divise n’est pas un gouvernement de sens commun, un gouvernement pour tous.
En matière de Justice, si le gouvernement s’engage à renforcer l’aide juridique de première et de deuxième ligne, il précise toutefois qu’il le fera « dans les limites propres à une enveloppe budgétaire fermée », en instaurant un ticket modérateur et en encourageant l’assurance privée. On peut dès lors légitimement s’interroger sur les moyens que le gouvernement mettra en œuvre pour atteindre son objectif de renforcement de l’accès à la Justice. Et, par extension, sur l’avenir de la Justice. A cet égard, le fondement de la transaction pénale - qui pose question quant à l’égalité des justiciables - n’est pas remis en cause, seule son évaluation est envisagée.
L’Accord de gouvernement prévoit également une procédure accélérée dans « les affaires simples » tout en prévoyant « les garanties nécessaires ». Si, de prime abord, cette mesure ne peut que susciter l’adhésion, le manque de précision quant à sa mise en œuvre laisse planer l’ombre d’un retour du snelrecht que la LDH avait attaqué en son temps devant la Cour constitutionnelle et qui avait été annulée suite à ce recours.
Au rayon des vieilles recettes « de bon sens » ayant prouvé leur inefficacité ou leur contre-productivité, l’instauration de peines de sûreté, échéance empêchant l’octroi d’une libération conditionnelle, et l’extension envisagée des infrastructures pénitentiaires ne peuvent évidemment qu’interroger la LDH sur la capacité du politique à prendre en compte les expériences passées et les recommandations des professionnels, même si, l’accord admet que « la lutte contre la surpopulation carcérale ne peut se limiter à une extension du nombre de places ». La LDH sera particulièrement attentive aux autres mesures qui seront prises pour résoudre ce dramatique problème.
En matière de sécurité, il faut tout d’abord constater que, ni vu ni connu, le Ministre de l’Intérieur devientofficiellement également le ministre de la Sécurité. Cela met en évidence le renforcement de la logique sécuritaire du gouvernement.
L’accord de gouvernement renforce une nouvelle fois la séparation, décidemment bien hermétique, entre les violences faites aux policiers et les violences policières. Si le premier phénomène est inacceptable et doit être résolument combattu, il n’en reste pas moins que le premier bilan de l’Observatoire des violences policières - www.obspol.be – démontre la réalité et l’urgence de la prise en compte par les autorités des dérapages violents d’une frange des forces de l’ordre. Le gouvernement fait l’impasse sur cette réalité en n’abordant cette question que sous l’angle de la lutte contre les violences commises sur les policiers. Pire, en étant particulièrement vague lorsqu’il mentionne qu’il « recherchera une solution pour les plaintes manifestement injustifiées contre le personnel policier », le gouvernement laisse peser une sourde menaces sur les victimes de violences policières qui seraient déboutées de leur plainte. Une situation aggravée par la remise en question dans l’accord de l’identification des policiers, avec les risques d’impunité que cela suppose. La LDH sera attentive à ce que la «solution» envisagée ne constitue pas une mesure visant à intimider les personnes, témoins et victimes, qui souhaiteraient porter plainte contre des violences illégitimes de la part de la police. Ce qui serait un comble alors que l’Accord de gouvernement annonce la protection des lanceurs d’alerte…
L’instauration d’une peine d’interdiction de territoire à titre temporaire ou définitif ressemble à s’y méprendre au retour de la double peine et le retour de la tolérance zéro en matière de consommation et de détention de drogue laisse planer un parfum de retour à la prohibition. En matière de réformes originales et approfondies, il y a de quoi rester sur sa faim.
Vers une repénalisation de la pauvreté?
Enfin, parmi les nombreuses mesures mettant à mal les droits économiques et sociaux, les populations précarisées mais également les classes moyennes (limitation dans le temps des allocations de chômage qui ne dit pas son nom, redéfinition du terme « emploi convenable », limitation du droit aux allocations d’insertion pour les jeunes, redéfinition restrictive de l’aide médicale urgente, etc.), la LDH tient à pointer son inquiétude concernant l’approche par le gouvernement de la question du sans-abrisme. En effet, outre la révision de la règlementation des squats en vue d’en accélérer l’expulsion, la déclaration mentionne la mise en place d’« un cadre légal visant le renforcement des autorités locales suivant une approche multisectorielle ». Bien que la définition de ce cadre doive encore être détaillée, la LDH craint que la logique de « bon sens », qui rime ici avec la sécurité du citoyen, aboutisse à une repénalisation du vagabondage et de la mendicité. Une logique qui, si elle devait se confirmer, constituerait un retour en arrière intolérable et une repénalisation de l’extrême pauvreté.
Le bon sens trompeur
Comme cette analyse « à chaud » le suggère, cet accord de gouvernement ne reflète, en matière de Justice et de sécurité, que très partiellement la volonté de réformes dont se targuait la coalition dite « suédoise » et applique de recettes par trop prévisibles qui se sont révélées pour la plupart inefficaces précédemment. S’il s’agissait d’une soupe aux légumes, la recette est extrêmement vague s’agissant des carottes et extrêmement précise quant au bâton pour la touiller.
Le bon sens pouvant s’avérer trompeur, la LDH espère que le gouvernement tiendra compte, dans la confection des plats qu’annonce ce menu, des ingrédients indispensables que constitue le respect des droits fondamentaux de l’ensemble des citoyens. Sans exceptions.