Le niveau de la corruption reste inquiétant dans de nombreux pays. Cela est particulièrement troublant alors que nos systèmes de santé et sécurité sociale fournissent de grands efforts pour protéger et soutenir nos populations. Les impôts gaspillés à travers la corruption se traduisent, en temps de pandémie, par des morts inutiles et des situations de vulnérabilités accrues (certaines personnes se retrouvent dans l’incapacité de payer leur loyer et de nourrir leurs enfants).
En ces temps de crise, les gouvernements auraient dû intensifié leurs efforts en vue de contrer la corruption et garantir qu’elle n’entrave pas les dispositifs permettant de lutter contre la Covid-19. Au lieu de cela, bien des gouvernements s’en sont pris à la liberté d’information, ont permis l’effondrement des systèmes judiciaires et ont fragilisé les mécanismes de contrôle démocratique. Tout cela a permis aux responsables politiques et hommes.femmes d’affaire corrompus d’exploiter la pandémie pour remplir encore plus leurs poches, ainsi que celles de leurs ami.e.s.
En Hongrie et Pologne, la fragilisation de l’état de droit favorise la corruption
Dans certains cas extrêmes, cela s’inscrit dans une stratégie globale des gouvernements aux tendances autoritaires de démanteler les contre-pouvoirs et renforcer leur mainmise sur le pouvoir. Ces gouvernements ont en effet profité de la pandémie et ont su l’exploiter pour accélérer la destruction des principes démocratiques. En Hongrie, un rapport récent montre comme les milieux d’affaire proches du Premier ministre, Viktor Orbán, se sont vus accorder d’importantes sommes d’argent pendant la pandémie, sans respecter les procédures en vigueur concernant l’octroi des marchés publics. Le gouvernement est allé très loin et a même modifié la constitution afin de faciliter l’utilisation illégale de fonds publics.
En Pologne, il est n’est plus possible d’avoir confiance dans le système judiciaire pour enquêter sur les cas de corruption et poursuivre les auteurs. Le gouvernement a en effet mené beaucoup d’efforts pour démanteler l’indépendance de la justice et intimider les juges qui tentaient de la protéger, en adoptant la fameuse « loi-bâillon », qui encadre la nomination des juges. Le gouvernement tente également de place son candidat pour reprendre le poste de Commissaire aux Droits de l’Homme. Il s’agit de l’un des derniers organes de supervision indépendants du pays.
La corruption sévit dans d’autres pays de l’UE
Mais ce ne sont pas que les cas extrêmes de la Hongrie et de la Pologne qui nous inquiètent. Selon le nouveau rapport de Liberties ‘EU 2020: DEMANDING ON DEMOCRACY’, publié la semaine dernière, certains pays ont mené des efforts en demi-teinte pour améliorer leur mécanismes de lutte contre la corruption, comme c’est le cas de la République tchèque ou de l’Italie. En règle générale, les gouvernements des pays membres de l’UE déçoivent leur population en matière de lutte contre la corruption, car celle-ci ne peut être efficace si dans le même temps les institutions et normes démocratiques protégeant l’état de droit sont malmenées.
Plusieurs pays de l’UE ont pris des mesures qui rendent encore plus difficile le contrôle des dépenses publiques. En Roumanie, les autorités ont suspendu ou énormément retardé les réponses aux demandes d’information publique. En Espagne, le gouvernement a empêché la mise à disposition d’informations et données sur sa gestion de la crise. Les autorités françaises ont quant à elles entraver la participation des organisations de la société civile aux mécanismes de lutte contre la corruption, au moyen de retards dans les procédures administratives et de barrières bureaucratiques.
Face à l’exécutif, des contre-pouvoirs affaiblis
Dans plusieurs pays de l’UE, les organes de supervision/contrôle publics, et notamment les Institutions nationales des droits de l’Homme, ont eu des difficultés à protéger les droits des citoyens. Par exemple, en Bulgarie, Croatie et République tchèque, ces organes ont souffert d’un manque d’efficacité et de transparence.
La Commission croate pour la prévention des conflits d’intérêt a également subi une pression de la part des autorités et pourrait bien être dissoute après qu’elle a ouvert une enquête des affaires concernant le parti au pouvoir, l’Union démocratique croate et le Premier ministre Andrej Plenković, dont le gouvernement est au centre de scandales de corruption.
Les tribunaux indépendants et dotés de ressources suffisantes sont essentiels en vue de contrôler la légalité des dépenses publiques. Mais les tribunaux de nombreux pays ont grandement souffert pendant la pandémie, comme ça été le cas en Bulgarie, où la procédure encadrant la nomination des juges et procureurs est opaque et ne garantit pas leur indépendance. En outre, les nouvelles règles introduites pour contrôler et enquêter sur le travail des procureurs risquent de compromettre leur indépendance. Les frais de justice des tribunaux de plus haute juridiction et la lenteur des procédures judiciaires rendent aussi l’accès à la justice plus difficile. La confiance de la population dans la justice a déjà chuté avec la nomination controversée du nouveau procureur général en octobre 2019.
La confiance du public dans la justice s’est également détériorée en Irlande, où un juge de la Cour suprême récemment nommé a refusé de démissionner après avoir enfreint les mesures sanitaires (dans le scandale politique désormais connu sous le nom de « golf-gate»).
Ces tendances inquiétantes éclipsent les potentiels progrès que peuvent représenter la numérisation croissante de la justice ou les réformes proposées dans des pays comme la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie, visant à améliorer l’indépendance et la transparence de la justice.
À propos du rapport
La transparence et l’information d’intérêt public, la supervision du travail de l’exécutif et l’indépendance de la justice sont des éléments essentiels d’un état de droit fort. Ces principes sont cruciaux, et permettent de garantir que nos dirigeant.e.s politiques dépensent et allouent l’argent public de la meilleur des façons et pour soutenir la population pendant la crise sanitaire.
Le dernier rapport de Liberties « EU 2020: DEMANDING ON DEMOCRACY » expose les pratiques malveillantes qui affectent l’état de droit dans 14 pays de l’UE. C’est le document de ce genre le plus approfondi publié par un réseau d’ONG traitant des évolutions de 2020. Le rapport a été préparé par Liberties, aux côtés de ses organisations membres et partenaires, et permettra d’enrichir la consultation de l’Union européenne en cours sur l’état de la démocratie dans les pays membres de l’UE.
Articles et documents connexes publiés récemment par Liberties :
Téléchargez le rapport complet (anglais) - EU2020: Demanding on Democracy