Il n’est pas rare que les pays membres de l’UE s’expriment lorsque des gouvernements extérieurs à l’Union violent ces valeurs. Ils ne manquent pas non plus de se critiquer mutuellement dans d’autres configurations telles que les Nations Unies ou le Conseil de l’Europe. Mais, à l’heure de se retrouver à Bruxelles, les gouvernements sont toujours restés muets quant à l’état des droits dans leurs pays respectifs. Cette fois-ci, te tabou semble bel et bien brisé, comme le rappelle Bert Koenders, ministre des affaires étrangères des Pays-Bas.
L’impasse
La Commission européenne a, jusqu’à présent, eu bien du mal à remettre Varsovie sur le droit chemin suite à la série de réformes mises en place par le gouvernement polonais, avec qui les discussions durent depuis plus d’un an. Fin 2016, la CE a formulé des recommandations à ce dernier, ce qui constituait la dernière étape du « Cadre de l’état de droit », un processus de dialogue structuré comportant trois phases. Mais Varsovie a rejeté ces recommandations, laissant la CE devant une impasse. Le Cadre de l’état de droit a été conçu comme prélude à l’enclenchement du mécanisme de sanctions prévu à l’article 7 du traité de l’UE. Toutefois, la CE s’est montrée réticente à l’idée d’activer cet article en raison du manque de soutien de la part des différents gouvernements. Un soutien qui aurait été nécessaire au Conseil de l’UE.
Afin de maintenir la pression sur le gouvernement polonais, la Commission est parvenue à inscrire cette question à l’ordre du jour du Conseil, qui se réunissait hier. Le cas de la Pologne figurait dans la catégorie « autres affaires ». Après que la Commission a informé les gouvernements européens des conclusions de ses examens, la plupart des ministres ont, selon nos informations, souligné que tous les gouvernements de l’UE devaient respecter l’état de droit. Bien que les conclusions officielles de la réunion n’aient pas encore été publiées, il semblerait que la majorité des ministres aient déclaré qu’ils soutenaient les enquêtes de la Commission et exhorté le gouvernement polonais à rouvrir le dialogue et à suivre sincèrement les recommandations de la CE. Malheureusement, les gouvernements ont semblé plus enclins à exprimer leur attachement au respect des valeurs de l’UE que de discuter des raisons pour lesquelles de telles réformes sont problématiques et des mesures que le gouvernement devrait prendre pour les remanier.
Les prochaines étapes
Interrogé sur les éléments de preuve permettant de montrer que la Pologne était prête à rouvrir les négociations, Frans Timmermans, premier vice-président de la CE, s’est montré optimiste et espère que la pression exercée par les gouvernements allait amener Varsovie à changer de position. Timmermans n’était cependant pas disposé à spéculer sur les éventuelles mesures à prendre en cas de refus de coopération de la part de la Pologne, tout en laissant entendre que toutes options restaient envisageables. Certains ministres ont suggéré que le Conseil garde un œil sur les évolutions et que la situation de la Pologne soit de nouveau à l’ordre du jour au cours des prochains mois, afin que les gouvernements puissent vérifier dans quelle mesure Varsovie coopère avec la CE.
Cela permettrait de maintenir la pression sur le gouvernement polonais. Même si ce dernier sait qu’il a peu de chance d’être victime de l’article 7, les ministres réunis à Bruxelles ne se préoccupent pas moins de leur propre réputation. Se voir étiqueté de « violateur des droits » pourrait alénier d’éventuels alliés au Conseil, avec qui faire équipe lors des négociations. De même, il a été proposé lors de discussions de bloquer l’accès aux financements européens pour les pays membres qui bafouent les valeurs de l’UE, conformément à de nouvelles r`gles qui seraient mises en place dans le cadre de futures réformes.
Des répercussions sur le long terme
En soutenant la Commission, la majorité des gouvernements de l’UE ont contribué à retirer une épine du pied du camp Timmermans. Lorsque la Commission avait créé le Cadre de l’état de droit (l’outil qui lui permet d’enquêter sur la Pologne) certains gouvernements avaient mis en cause sa légalité. Le service juridique du Conseil de l’UE avait également publié un avis juridique plutôt inconsistant, avançant que la Commission avait dépassé ses pouvoirs (une position très peu partagée parmi les experts respectés du droit de l’UE), ce qui avait eu le don d’irriter de nombreux gouvernements. Si le Conseil demande officiellement à la Pologne de collaborer, cela voudra dire qu’il soutient formellement la procédure, réglant ainsi la question.
Dider Reynders, adjoint du premier ministre belge, a réitéré son appel à mettre en place un mécanisme qui superviserait régulièrement l’ensemble des pays membres, afin de vérifier leur respect de l’état de droit. Cela permettrait de venir à bout de la réticence de certains pays, à distinguer les pays problématiques ad hoc, et à aider l’UE à traiter ces problèmes et à y remédier à un stage plus précoce. Liberties a déjà défendu ce type de mécanisme par le passé, nous vous invitons à découvrir nos suggestions ici.