La démarche volontaire ne suffit plus quand il s'agit de retirer des contenus "terroristes", estime J-C. Juncker, le président de la Commission européenne. Au cours de sa déclaration annuelle lors du discours de l'Union, Juncker a annoncé un projet de réglementation qui obligerait les réseaux sociaux à retirer les contenus dits "extrémistes" dans l'heure suivant leur publication.
Si cette mesure paraît essentielle dans la lutte contre la propagande extrémiste, plusieurs détails rendent cette réglementation en matière de lutte anti-terroriste (la troisième en 12 mois) particulièrement inquiétante. Même la façon dont la proposition a été rédigée (c'est à dire sans transparence, sans évaluation d'impact ou consultation publique) est aussi alarmante que ce que le texte contient...
Un outil électoral plus qu'une réelle proposition législative
L'arrivée de la proposition fait l'objet d'une rumeur depuis cet été, après que le Financial Times ait révélé le premier document concernant le texte de loi. Sa divulgation arrive juste avant le prochain sommet du 18 septembre prévu par la présidence autrichienne de l'UE, durant lequel les questions clés de la sécurité et la migration seront à l'ordre du jour.
La Commission Juncker entend associer la sécurité, la coopération juridique et les contrôles aux frontières à des politiques migratoires plus dures encore. La proposition de retrait des contenus à caractère extrémiste n'est qu'une des pièces d'un puzzle beaucoup plus grand.
Adieu à l'approche volontariste
Avec cette proposition, la Commission a décidé d'abandonner l'approche volontariste pour la suppression de contenus liés aux terrorisme par les entreprises du Net. Plus tôt cette année, il avait été question d'une telle approche, qui devait être suivie par des lignes directives plus strictes avec la réduction du délai d'une heure prévu pour le retrait des contenus.
Le projet actuel de la Commission comprend les points suivants :
- Les contenus identifiés par la police et organes d'application de la loi doivent être retirés/bloqués dans l'heure qui suit leur mise en ligne.
- Les autorités nationales compétentes peuvent décider de notifier une entreprise de potentielles violations liées au terrorisme des conditions de service de cette même entreprise, qui devra ensuite décider de prendre des mesures contre les contenus contestés.
- Elle autorise la prise de mesures proactives qui peuvent se traduire par une demande de la part des autorités de surveillance générale obligatoire des contenus.
Ce dernier point est particulièrement inquiétant du point de vue de la liberté d'expression. Cela constitue la première proposition qui autoriserait à un État membre de bénéficier d'une dérogation explicite à l'Article 15 de la Directive sur le commerce en ligne (e-commerce), qui interdit aux gouvernements de surveiller et contrôler activement les contenus publiés sur leurs plateformes.
Les statistiques suggèrent elles aussi que l'intérêt des États membres pour les lois de lutte anti-terroriste a diminué (puisque seule plus d'une moitié des États membres ont appliqué la directive européenne prévoyant l'enregistrement des noms des passagers, louée par l'UE comme une mesure clé de lutte contre le terrorisme. Cette directive avait été adoptée au lendemain des attaques terroristes qui avaient frappées la France et la Belgique.
L'UE a distribué 70 millions d'euros dans toute l'UE pour financier la mise en place d'un système d'échange d'informations. Les défenseurs de ce système estiment qu'il est essentiel en vue d'identifier les comportements suspects. Mais les critiques considèrent que cette loi anti-terrorisme entrave les droits fondamentaux et ne constitue qu'une aide réduite pour les forces de police dans leur suivi des personnes suspectées de terrorisme. En France, par exemple, seuls 13 personnes ont été interceptées grâce à ce système d'échanges.
Une solution unique qui ne conviendrait pas à tout le monde
Au vu des leçons apprises concernant les précédentes lois européennes en matière de lutte contre le terrorisme, Liberties est d'avis que l'UE devrait s'abstenir de mettre en place une mesure uniforme et unique. Il s'agit d'éviter de mettre en place un programme de filtrage et suppression des contenus unique, et notamment sans prévoir d'harmonisation avec la loi de l'UE relative à la liberté d'expression et la Charte des droits fondamentaux.
Cette solution de "filtrage" des contenus s'inscrit dans une tendance plus générale de la Commission, qui l'a déjà proposé pour lutter contre les discours de haine, la pédopornographie en ligne, la protection des droits d'auteur et la lutte contre les fake news ou fausses informations. En outre, Liberties exhorte la Commission européenne à éviter de confier aux entreprises du net une mission qui devrait plutôt être menée par la police et les autorités d'application de la loi. Ces entreprises manquent des ressources et connaissances nécessaires en vue de définir précisément les contenus à caractère terroriste ou extrémiste. Et les élections européennes à venir ne devraient pas être utilisées comme une excuse pour obliger ces entreprises à le faire.