La liberté et le pluralisme journalistique - diversité des opinions et des voix, variété des sources, large éventail de formats disponibles, absence de concentration de la propriété - s'érodent dans les pays de l'UE, selon le nouveau rapport de Liberties sur la liberté de la presse en 2022. Cette situation a des répercussions considérables sur la démocratie européenne, qui repose sur un débat public équilibré et bien informé, rendu possible par un flux d'informations précises et impartiales provenant de médias libres et indépendants.
Mais il existe un bon espoir de mettre fin au déclin de la liberté de la presse : la Commission européenne élabore actuellement une loi pour la liberté des médias (Media Freedom Act - MFA) de l'UE, un nouvel ensemble de règles qui peut mettre en place un certain nombre de protections pour défendre la liberté des médias dans toute l'Union. Ce faisant, elle peut également contribuer à protéger la démocratie et l'état de droit en Europe.
La liberté de la presse menacée de toutes parts
La prise de contrôle des médias par le gouvernement a été bien documentée dans des pays comme la Hongrie et la Pologne, où les plus grands médias ont été achetés par des proches des partis au pouvoir ou sont passés sous influence politique par le biais de changements au sein de la direction ou par le contrôle des financements des médias. Les médias critiques ont été achetés de la même manière, puis fermés, ou intimidés/menacés par de nouvelles réglementations injustifiées.
Pour les médias du services public (MSP), la situation est particulièrement préoccupante. Les médias du service public devraient être libres de remplir leur mission, qui est de fournir aux citoyens des informations soutenues par le public mais indépendantes sur le plan éditorial. En plus de fournir des informations - sous des formes accessibles à différents groupes de vastes publics, y compris les enfants - ils représentent également diverses attitudes culturelles et favorisent et promeuvent des valeurs communes. Ces objectifs sont inatteignables lorsque le médias publics sont sous le contrôle des gouvernement et transformés en porte-paroles qui ne diffusent que les opinions défendues par le parti au pouvoir.
Les attaques diffamatoires, le harcèlement et les poursuites malveillantes connues sous le nom de SLAPP intimident les journalistes indépendants et ont un effet dissuasif : elles les amènent à s'autocensurer et à cesser de traiter les affaires de corruption, de dégradation de l'environnement, entre autres actes malhonnêtes. Ces attaques se produisent à la fois hors ligne - et aboutissent parfois à un meurtre, comme ce fut le cas en 2021 pour le reporter d’investigation néerlandais Peter R. de Vries - et en ligne, où les plateformes de réseaux sociaux sont devenues des plates-formes d'attaques personnelles et de menaces. La plupart des intimidations dont sont victimes les journalistes allemands, par exemple, se produit en ligne, si bien que certains choisissent de s'autocensurer.
Comment redresser la barre
La loi sur la liberté des médias sera l'occasion de riposter et de mieux protéger la liberté, l'indépendance et la sécurité de celles et ceux qui pratiquent un journalisme de qualité. L'UE peut prendre un certain nombre de mesures concrètes pour atteindre cet objectif :
- La MFA devra exiger que le processus de nomination des membres des organismes nationaux de supervision des médias soit démocratique et transparent. Elle doit également définir des normes de base pour les critères de sélection, notamment une expertise avérée en matière de contrôle des médias et l'indépendance vis-à-vis de toute influence ou lien politique pouvant entraîner des conflits d'intérêts.
- Pour protéger le pluralisme médiatique, la MFA devra créer une base de données européenne transparente incluant des informations sur l'ensemble de la chaîne de propriété des médias, y compris les propriétaires qui détiennent une part importante d'actions ou de droits de vote au sein de l’entreprise. Tous les médias devraient être obligés de transmettre des informations fiables et actualisées à la base de données, qui devrait être accessible gratuitement au public.
- Il est important d’observer que les exigences de transparence ne doivent pas s'appliquer aux blogueurs et aux journalistes citoyens afin de garantir l'anonymat et d'éviter les crimes de haine à l’encontre des journalistes.
- Afin d'assurer une distribution équitable et transparente des financements, la MFA devra établir les principes de base de l'octroi d'aides et de subventions publiques aux entreprises médiatiques. Ces principes doivent inclure l'impartialité politique, la transparence des financements, la responsabilité, l'éligibilité et la faisabilité. De même, les États membres de l’UE doivent être tenus de rendre compte périodiquement sur la répartition des aides d'État et des subventions aux médias.
- La Commission devrait suivre de près la mise en œuvre de la recommandation de l'UE sur la protection, la sécurité et la responsabilisation des journalistes et de la législation européenne connexe, telle que la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union (directive sur les lanceurs d’alerte), en étroite consultation et coopération avec la société civile et les représentants des médias. De même, il est urgent de protéger les journalistes visés par des poursuites stratégiques contre la mobilisation publique (connues sous le nom de SLAPP en anglais).
- En outre, le suivi annuel de la situation de la liberté et du pluralisme médiatique dans les États membres doit intégrer le rapport annuel de la Commission sur l'État de droit, pour lequel Liberties a fourni son propre rapport. Cependant, les critères de référence du rapport de la Commission sur l'État de droit concernant la liberté de la presse devraient être plus clairs et plus spécifiques.
La guerre en cours en Ukraine constitue une leçon du pouvoir que peut conférer le fait de contrôler les médias. La propagande de Poutine convainc les gens en Russie et ailleurs que sa guerre est en quelque sorte justifiée, que les Ukrainiens ne sont pas des victimes mais des agresseurs. En Hongrie, en Pologne, en Slovénie et ailleurs, les gouvernements de l'UE cherchent à exercer un contrôle similaire sur leur paysage médiatique national. Les rédactions des services publics ne sont plus libres de publier les articles qu'elles souhaitent, de rapporter les faits tels qu'elles les trouvent, aussi accablants soient-ils. Cela signifie que des problèmes tels que la mauvaise gouvernance et la corruption restent cachés, et que les citoyens sont privés de leur droit d'accéder à l'information pour prendre une décision éclairée lors des élections.
L'UE aura bientôt l'occasion de remédier à cette situation. Elle doit considérer la MFA comme un outil permettant non seulement de soutenir et préserver la liberté de la presse, mais aussi de protéger la démocratie européenne elle-même. Sans citoyens informés et sans élections libres et équitables, la démocratie s'effrite et l'autoritarisme prend place. Et, comme nous en sommes témoins, les conséquences de cette situation peuvent être tragiques.
Si vous souhaitez obtenir plus de recommandations sur la loi sur la liberté des médias, lisez notre document d'orientation complet ici.
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