Dans un jugement historique rendu il y a tout juste un an, la Cour de justice de l’UE a déclaré la loi du gouvernement Orbán incompatible avec le droit européen et la Charte européenne des droits fondamentaux. Cette loi vise clairement à affaiblir les organisations de la société civile qui dénoncent la corruption et les tendances autoritaires du pouvoir. Un an après cette décision, le tableau est encore sombre pour les droits et les organisations de défense de la démocratie en Hongrie et dans toute l’UE. Mais la résistance ne cesse de grandir, et Liberties travaille dur pour apporter son soutien au secteur.
Nous sommes des personnes sociales. Se rassembler avec des personnes partageant nos valeurs dans des associations pour partager nos passions, prendre soin des plus démuni.e.s, demander le respect de nos droits ou défendre des causes chères à nos yeux, constitue une part importante de nos vies société. Notre droit de nous organiser et agir ensemble à travers des associations est un outil essentiel qui nous permet d’atteindre de grandes choses, bien plus grandes que si nous menions ce travail seul. Mais les gouvernements ne cessent de menacer ce droit fondamental. Nous expliquons ici les raisons de ce phénomène, et présentons les actions que Liberties met en place pour protéger notre liberté d’association.
Les gouvernements anti-démocratiques n’aiment pas les ONG
Dans une démocratie en bonne santé, les ONG et associations indépendantes sont là pour veiller à ce que le gouvernement n’utilise pas à mauvais escient l’argent public ou n’abuse pas de ses pouvoirs pour enfreindre la loi, et les poursuivent en justice si c’est le cas. Les ONG nous aident également à nous organiser et faire entendre nos opinions et inquiétudes auprès de nos élu.e.s, à travers des pétitions, manifestations pacifiques et en prenant part aux processus d’élaboration des lois. La société civile constitue un outil essentiel en vue d’exprimer nos opinions, exercer notre droit de manifestation et obtenir justice quand nos droits sont bafoués.
Et c’est parce que les ONG sont si importantes pour la vie démocratique que les gouvernements illibéraux ne les aiment pas, comme nous l’expliquons dans cet article. Cela fait des années que les organisations qui travaillent sur la défense des libertés, de la démocratie, de l’environnement, ou encore sur la lutte contre la corruption, sont visées, y compris en UE, par des gouvernements qui cherchent à réduire au silence les critiques.
La loi sur les financements en provenance de l’étranger adoptée en Hongrie en 2017, que la CJUE a invalidé l’an passé suite à une action en justice entreprise par la Commission européenne (que Liberties avait demandée avec insistance), est exemple emblématique des tactiques mises en place pour réduire au silence les ONG. La loi s’inscrit dans une longue série de mesures adoptées par le gouvernement Orbán afin de faire taire celles et ceux qui s’opposent au pouvoir et à sa corruption et dénoncent les attaques visant les libertés individuelles, la mainmise sur les médias indépendants et la justice, ou encore les discours de haine visant les groupes minoritaires tels que les migrants ou les personnes LGBTQI+. En affirmant que les ONG étaient financées depuis l’étranger pour s’en prendre aux intérêts de la nation, la loi restreint illégalement les dons faits aux ONG et impose une obligation de se déclarer en tant que « agent étranger ».
La decision de la CJUE est historique. Cependant, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Il a fallu au moins une année et une nouvelle action en justice de la CE pour que le gouvernement hongrois abroge la loi de 2017. Varosvie a présenté une nouvelle loi restrictive en quelques semaines seulement, et le texte soulève déjà de nombreuses inquiétudes. Une autre loi de 2018 prévoyant une taxe spéciale pour les ONG travaillant sur le sujet de la migration est encore en vigueur. Pendant ce temps, dans un autre pays de l’UE gouverné par un gouvernement aux tendances autoritaires, la Pologne, la parti au pouvoir a ignoré le jugement de la CJUE et a essayé d’adopter une loi sur le financemnet des ONG similaire à celle de la Hongrie. L’objectif : assécher les ressources des ONG qui ne sont pas favorbales à l’agenda ultra-conservateur du pouvoir en place.
Parmi les tactiques communes utilisées par les gouvernement illibéraux afin d’affaiblir les ONG indépendantes, notons les tentatives de destruction de la réputation des ONG auprès de la population en accusant ces dernières d’être antipatriotiques et de travailler contre les valeurs et intérêts du pays. Les attaques visant les organisations et activistes qui œuvrent pour les droits des femmes ou des personnes LGBTQI+ en Hongrie et en Pologne sont un autre exemple parlant. En Slovénie, dont le gouvernement affiche de plus en plus des tendances autoritaires, le Premier ministre essaie depuis longtemps de monter l’opinion publique contre les ONG. Dans ses discours, il affirme que ces dernières utilisent de l’argent public qui pourrait être utilisé pour aider les citoyens. Et les médias proches du pouvoir ont recours à de virulents campagnes de diffamation pour nuire à la réputation des associations.
Dans tous ces pays, on signale aussi un nombre accru d’attaques visant les ONG à travers des poursuites judiciaires abusives engagées à leur encontre par des représentants politiques et entreprises proches du pouvoir.
Les choses se compliquent ailleurs aussi
Comme un récent rapport de Liberties le montre, même les gouvernements des démocraties traditionnellement fortes entravent le travail des ONG indépendantes.
Nous trouvons des exemples très inquiétants dans plusieurs pays. En Irlande, une réglementation arbitraire sur les campagnes politoques nuit grandement au rôle de plaidoyer des ONG. En Allemagne, les organisations sont menacées de perdre leur statut d’« association caritative » car la législation en la matière est obsolète et vague et qu’elle est utilisée par les politiques et les entreprises pour viser les voix critiques. En France, une loi veut obliger les associations à signer un « contrat d’engagement républicain » a fait l’objet de vives critiques, pour les atteintes à la liberté d’association et à la liberté d’expression qu’elle représente. La répression violente des manifestations de la part des forces de police est devenue une routine en Belgique, Espagne et Suède, où les ONG ont signalé récemment plusieurs cas de violences excessives de la police dans le cadre des manifestations. Les gouvernements ont aussi recours au droit pénal pour restreindre certaines activités des ONG, comme les dispositions sur l’assistance humanitaire apportée aux migrant.e.s en Grèce, à Malte ou en Italie. Les gouvernements européens ne parviennent pas à contrer les menaces et attaques auxquelles les ONG sont confrontées, dont le phénomène rampant des poursuites judiciaires abusives (qui visent à s’en prendre juridiquement à celles et ceux qui font défendent l’intérêt général).
Si le rétrécissement de l’espace civique est un phénomène que l’on observe depuis quelques années maintenant, notre étude sur les impacts de la Covid-19 montre comment ces tendances préoccupantes se sont intensifiées avec la pandémie. La réduction des financements, les restrictions arbitraires de la liberté d’expression, le droit de manifestation et le recours à l’état d’urgence sans aucune consultation ont entravé fortement le travail des ONG. Il leur a été plus difficile de déterminer une voie à suivre pour traverser la crise de la meilleure manière possible pour la population.
La pression s’intensifie, la résilience aussi
Dans ce contexte hostile de pression accrue, les ONG unissent leurs forces et construisent une grande résilience face à ces attaques.
La défense de la liberté et de l’indépendance des ONG est depuis le départ au cœur du travail de Liberties, et nous investissons à présent davantage de moyens pour soutenir ces efforts. Cette année, l’UE a créé un nouveau fonds afin de soutenir financièrement les organisations de défense des droits et de la démocratie, dont la création avait été initialement proposée par Liberties. À l’avenir, nous continuerons de soutenir les ONG en
- Conduisant un monitoring et signalant les menaces qui pèsent sur les ONG afin de contribuer à mobiliser le grand public et faire pression sur les gouvernements des pays membres et l’UE en vue de protéger notre droit de réunion ;
- Renforçant notre réseau de membres dans les différents pays de l’UE afin de soutenir leur travail de terrain (en rendant notre réseau plus accessible et en apprenant les uns des autres).
- Utilisant notre expertise afin de mener des actions de plaidoyer auprès des institutions européennes sur les actions qu’elles peuvent mener pour défendre les droits des ONG (en poursuivant les gouvernements avec une plus grande détermination, en comblant les vides juridiques et en répartissant mieux les fonds).
- Formant et accompagnant nos membres et les autres ONG sur la façon dont ils peuvent présenter leur travail, d’une manière accessible et qui parle aux gens. Un nouveau guide de Liberties sur l’espace civique sera bientôt publié en vue de conseiller les ONG sur la façon dont elles peuvent mieux sensibiliser le public sur leur rôle central et formuler de manière efficace leurs réponses aux attaques et campagnes de diffamation qui les visent.
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