La LDH et la CNAPD - soutenues par la section belge d’Amnesty International – ont, en décembre dernier, introduit devant le Conseil d’État plusieurs recours en suspension et en annulation des licences d’exportation d’armes vers l’Arabie Saoudite accordées par le Ministre Président wallon en octobre 2017.
Ces recours avaient été intentés pour trois raisons : pour éviter que des armes de guerre et des armes légères soient envoyées à l’Arabie Saoudite et permettent la perpétuation de violations massives des droits fondamentaux dont ce pays se rend constamment responsable, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, comme actuellement au Yémen ; parce que l’octroi aberrant de ces 28 licences soulevait une nouvelle fois la question de l’opacité des modalités de décision d’octroi de ce type de licences et, enfin, parce que ce recours offre la possibilité de faire avancer la réflexion relative à la mise en place d’une forme d’embargo européen, sous la forme déterminée par la position commune européenne.
Les arrêts du Conseil d’Etat ont tout d’abord pour effet de rappeler que, au vu de la situation tant au Yémen qu’au sein du royaume saoudien, la Région wallonne doit suspendre ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite dès lors qu’elles pourraient avoir un impact négatif sur le respect des droits humains, ce qui est indubitablement le cas. Celle-ci mène en effet une politique totalement incohérente et en contradiction tant avec ses obligations internationales qu’avec les intérêts de la Belgique (résolution fédérale demandant un embargo européen, conclusions de la Commission attentats terroristes, etc.). Le Conseil d’Etat pointe d’ailleurs l’absence d’évaluation par la Région Wallonne du risque d’impact négatif de ces exportations en matière de lutte contre le terrorisme.
Il confirme, ensuite, que l’évolution décrétale qui a suivi la contestation par la LDH et la CNAPD de l’octroi de licences dans le cadre d’une vente d’armes à la Libye en 2011 était insuffisante. Le décret wallon doit en effet être réformé en profondeur afin de garantir la transparence et de permettre le débat démocratique qu’exigent ces types de dossiers. A cette fin, la transmission d’informations permettant aux parlementaires d’exercer réellement leur pouvoir de contrôle est indispensable. La possibilité d’un véritable contrôle démocratique vérifiant qu’un octroi de licence ne contrevient pas aux engagements de la Belgique doit être structurellement mis sur pied. Pour pouvoir effectivement contrôler et, le cas échéant, interpeller l’Exécutif, le parlement doit avoir accès aux avis de la Commission. A minima, un rapport devrait être transmis au parlement sur une base mensuelle plutôt que semestrielle comme c’est le cas actuellement. Par ailleurs, la mise en place d’une Commission d’avis pluraliste incluant une majorité de représentants indépendants de l’autorité qui octroie la licence d’exportation (académiques, magistrats…) permettrait d’éviter que le respect des critères garantissant la protection des droits humains ne soit pas affecté par les intérêts commerciaux et industriels.
Enfin, le Conseil d’Etat rappelle au gouvernement wallon sa lourde responsabilité en matière de gestion du secteur de l’armement en Belgique. En restant dans une position attentiste depuis la première action contre les « licences libyennes » (2009), en omettant d’exécuter le décret régissant la matière (2012), en méprisant la résolution fédérale demandant la mise en place d’un embargo sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite (2017), le gouvernement fait courir un risque à l’industrie. En tant qu’actionnaire à 100% de la FN Herstal, il a le pouvoir et le devoir de s’assurer que cette entreprise ne dépende pas de marchés qu’il qualifie lui-même de « très sensibles ». A défaut, il se rend responsable de la fragilisation du secteur : le caractère problématique de ces destinations est connu de longue date. Ne rien faire, c’est poser un choix qui risque d’être lourd de conséquences pour l’emploi dans cette filière…
Plutôt que d’être perçu comme une défaite par le gouvernement wallon, cet arrêt constitue une occasion pour les autorités d’appliquer et de veiller au respect de la Position commune par les autres pays de l’Union européenne afin de s’accorder sur l’opportunité de mettre en place un embargo sur les ventes d’armes au royaume saoudien. Une bonne pratique qui lancerait un signal fort aux autres États de l’Union européenne.