Démocratie et justice

Une société civile mise sous pression en 2021

Le dernier rapport sur l'état de droit de Liberties révèle que les organisations de la société civile en Europe ont dû faire face à une hostilité accrue en 2021. Elles sont confrontées à une réglementation excessive et une protection insuffisante.

by Eleanor Brooks

Liberties a publié son troisième rapport sur la situation de l’état de droit au sein de l’Union européenne. Voici un résumé des tendances observées en matière d’espace civique. Le rapport complet évalue la capacité des États membres à protéger la démocratie, la justice et l'état de droit. Il contient un résumé des différentes tendances observées ainsi que 17 rapports par pays rédigés par les organisations membres et partenaires.

Ce rapport alternatif sert de contribution au rapport annuel de la Commission européenne sur l’état de droit, qui sera publié plus tard dans l’année. Il s’articule sur les priorités et indicateurs identifiés par la Commission.

L’un des six thèmes traités dans le rapport concernent la capacité des gouvernements à permettre aux organisations de la société civile (OSC) mener à bien leurs missions. Le travail de ces organisations est essentiel en vue de maintenir l’état de droit. En faisant entendre la voix des communautés marginalisés et en assurant un contrôle indépendant des pouvoirs, les OSC rassemblent des preuves de violations des droits fondamentaux et sonnent l’alarme lorsque l’état de droit est bafoué ou menacé de l’être.

Pour les perspectives sont-elles sombres ?

Dans le cadre des rapports par pays, Liberties a demandé à nos organisations membres de noter les progrès de leur pays dans chacune des thématiques définies en se basant sur le système d’évaluation suivant : « en recul », « aucun progrès », « en progrès ». Parmi toutes les catégories, c’est l’ « espace civique » qui a obtenu les moins bons résultats. Sur les 14 organisations qui ont traité cette catégorie, sept pays ont obtenu la mention « en recul », les sept autres ayant obtenu la mention « aucun progrès ». Aucune organisation n’a estimé que le gouvernement de leu pays avait réalisé de progrès permettant une amélioration du cadre de la société civile.

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Le rapport de cette année a montré que bon nombre des problèmes mis en lumière l'année dernière se sont aggravés. D’une part, les OSC sont sous-protégées par la loi lorsqu’elles font l’objet de campagnes de dénigrement, d’intimidations et d’attaques. D’autre part, ces organisations font face à une surrèglementation, avec la mise en place de règles supplémentaires relatives au financement et aux manifestations, qui servent à affaiblir ou à limiter leurs activités.

Sous-protection : quand les ONG font face aux intimidations, aux campagnes de diffamation et aux « SLAPPS »

Plusieurs rapports par pays montrent une hausse des attaques (en ligne et hors-ligne, physiques et verbales) à l’encontre des activistes et défenseurs des droits. Les groupes les plus visés sont ceux qui traitent des questions LGBTQI+. La Suède a signalé que les discours de haine et les menaces à l'encontre de groupes vulnérables tels que les femmes, les personnes LGBTIQ+ et les minorités ethniques, étaient d’une telle intensité, que ces groupes ont décidé de se retirer des activités publiques. En Bulgarie, lors de la journée des fiertés, les manifestants opposés à la Pride ont bénéficié de l’aide de la police pour modifier leur itinéraire initial et ont pu encercler les participant.e.s de la marche des fiertés.

Plutôt que d’offrir une protection, les gouvernements ferme les yeux sur les violences commises à l’encontre des OSC. Certains tiennent des discours visant à alimenter la colère et renforcer les divisions. En Croatie, Hongrie et Slovénie, les autorités ont fréquemment recours aux campagnes de diffamation à l’encontre des OSC qui sont critiques envers le gouvernement. Ces campagnes permettent ainsi de discréditer les allégations et le travail des organisations.

Le travail des organisations de la société civile a également été entravé par la menace des « SLAPPS » ( Strategic Lawsuits Against Public Participation) (poursuites stratéiques contre la mobilisation publique), qui sont des poursuites judiciaires malveillantes sans réel fondement juridique, très utilisées par les puissants chefs d’entreprises ou figures politiques afin de faire taire les critiques. Notre ONG membre irlandaise souligne une hausse notable des SLAPPS utilisées afin de gêner le travail de contrôle judiciaire mené par les organisations de protection de l’environnement. En Pologne, les SLAPPS ont été utilisées contre de nombreux militants faisant campagne contre les "zones anti-LGBT".

Ces problèmes ont été aggravés par la faiblesse de la protection législative prévue contre les discours de haine et les SLAPPS. La loi n’offre en effet qu’un mince bouclier aux OSC, qui évoluent dans un environnement de plus en plus hostile.

Surrèglementation : les libertés d’association et d’expression sont limités, les financements conditionnés et restreints

Au-delà de la faible protection qu’il prévoit, le cadre juridique dont dépend la société civile peut être activement utilisé pour entraver les efforts déployés par les organisations pour protéger l’état de droit. Les OSC de plusieurs pays alertent sur l’émergence de nouvelles lois limitant la portée de leur travail.

En France, une nouvelle loi contre le séparatisme limite la liberté d’association et d’expression en exigeant des organisations qu’elles adhèrent au concept nébuleux de « valeurs nationales », faute de quoi elles risquent la dissolution ou la parte de subventions publiques. La récente dissolution du CCIF (collectif contre l’islamophobie en France er du CRI (Coordination contre le racisme et l’islamophobie) témoignent de la volonté du gouvernement français de mettre ses menaces à exécution.

Dans d’autres pays, des problèmes concernant la limitation de la liberté d’association persistent. La Bulgarie continue de refuser d’autoriser l’enregistrement des OSC qui défendent les intérêts des minorités. En Irlande les dépenses des OSC sont soumises à des restrictions, en raison de règles sur la publicité. En Belgique et en Croatie, on assiste à une criminalisation de l’assistance humanitaire fournie aux demandeurs d’asile et migrants. En Hongrie, bien que la loi « anti-ONG » ait été abrogée en 2021, elle a été remplacée par un texte remanié qui continue d’interférer avec l’autonomie des OSC.

L’Estonie a été la seule à réduire les charges bureaucratiques des OSC au cours de la pandémie, en assouplissant certaines règles administratives.

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Les OSC ont de plus en plus de difficultés à trouver des financements. Une tendance émergente et inquiétante dans toute l’Europe. En Allemagne, Croatie, Estonie, France, Irlande, Hongrie et Slovénie, les cadres et règles relatifs aux financements ont créé des complexités qui entravent le travail des ONG. Par exemple, en Allemagne, la loi qui limite l'engagement politique des OSC exonérées d'impôts aux questions inscrites dans le Code fiscal, a créé une incertitude juridique pour les ONG. Cela a amené de nombreuses organisations qui s'étaient auparavant exprimées ouvertement contre l’extrême droite et les discours anti-démocratiques, à s’autocensurer. Sans compter la forte charge bureaucratique que cette loi représente pour les organisations. En Croatie, la lenteur et l’obsolescence des procédures dans le financement des OSC sont le résultat de processus discriminatoires qui pénalisent les organisations qui ont mois de moyens.

Le rôle des ONG et journalistes d’investigation est menacé

Le rôle de contrepouvoir de la société civile ne peut être effectif que si les organisations sont libres de critiquer les activités du gouvernement sans risquer de mettre en péril leur propre existence. Ce mécanisme, ainsi que le droit à la liberté d’expression est entravé si les OSC se sentent menacées d’être dissoutes ou craignent de perdre leur statut d’association à but non lucratif, comme cela est le cas en Estonie, en Allemagne, en Irlande et en France, si elles mènent un travail de plaidoyer jugé trop « politisé » par les responsables politiques.

De la même façon, les OSC de plusieurs pays ont mis en avant le fait que le droit de manifestation était menacé, en raison de protections juridiques inadéquates ou restrictions répressives. La pandémie a vu les gouvernements utiliser la crise sanitaire pour justifier de réduire la liberté de réunion (un droit fondamental), en limitant ou en interdisant les manifestations.

Cette question a particulièrement été traitée dans les rapports de la Belgique, de la Bulgarie, de la Slovénie ou de l’Espagne, qui ont vu la mise en place de restrictions sur les manifestations, accompagnées de violences policières lors des opérations de maintien de l’ordre pendant les manifestations. Selon notre membre slovène, les manifestations collectives ont été purement et simplement interdites par le gouvernement à plusieurs reprises au cours de l'année 2021. En Bulgarie, des images de caméras de sécurité ont été diffusées, montrant sept jeunes qui participaient à une manifestation contre le gouvernement, violemment interpellés par la police.

Les organisations sont exclues du processus d’élaboration des lois et politiques

L’ensemble de ces restrictions empêchent les organisations de la société civile de jouer un rôle actif dans la formation du débat public. Dans le contexte de la pandémie, cela les empêche aussi de participer à la prise de décision sur la manière dont les pays peuvent surmonter les défis qui découlent de la levée progressive des restrictions.

Loi d’être un accident

Les rapports des organisations membres font état d’une exclusion systémique des OSC du processus d’élaboration des lois et politiques. Les représentants de la société civile ont été écartés des discussions aux Pays-Bas et en Slovaquie, dans bon de nombreux domaines. En Irlande, des représentants d’organisations ont été mis à l’écart des plateformes de lobbying pour la protection de l'environnement. En Croatie, des OSC ont protesté contre le fait d’être exclus des discussions sur le nouveau plan de relance et résilience. En Slovaquie, les organisations ont dénoncé le fait que leur rôle a été réduit au point de devenir superficiel.

Dans l’ensemble, 2021 n’aura offert aux OSC que peu de raisons d’être optimistes. Si les mesures restrictives sont prévisibles chez les suspects habituels (les pays aux tendances autoritaires), la réduction de l’espace civique s’est aussi opérée dans les pays aux démocraties traditionnellement fortes.

Compte tenu du rôle central que jouent les activistes dans la défense des valeurs de l’UE, elles qui s’assurent de la bonne exécution des jugements rendus par la Cour européenne de justice, il est dans l’intérêt de l’UE d’utiliser ses pouvoirs pour protéger les organisations de la société civile. Sur la base des conclusions de nos organisations membres, le rapport inclut une liste de recommandations destinées à l’UE et aux gouvernements nationaux. La voie à suivre pour renforcer la société civile est claire, mais la volonté de s’y engager pleinement reste à voir.

Télécharger le rapport sur l’état de droit 2022 de Liberties

Lisez notre communiqué de presse sur le rapport ici (disponible en français).

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