Depuis maintenant plus d'un an, un couple d'homosexuels, dont un lituanien et un biélorusse, tente de convaincre les autorités lituaniennes et les tribunaux qu'ils ont le droit au regroupement familial.
En décembre 2016, ce casse-tête juridique a pris une nouvelle tournure: la Cour constitutionnelle de la République de Lituanie a accepté d'examiner si les dispositions de Loi sur le statut légal des étrangers était conforme à la Constitution lituanienne.
Mariés, mais pas considérés comme une famille?
L'histoire remonte à septembre 2015. Le couple marié, formé par un citoyen biélorusse et un homme lituanien, fait une demande auprès des autorités de l'immigrations de permission de vivre ensemble en Lituanie. Le couple s'était officiellement marié au Danemark la même année.
La loi portant sur le statut légal des étrangers n'interdit pas officiellement le regroupement familial des couples de même sexe. Les étrangers peuvent obtenir un titre de séjour sur la base du regroupement familial s'ils sont mariés ou engagés dans une union avec un citoyen lituanien. La loi ne précise si le mariage doit unir des personnes de sexe opposé.
Toutefois, les services de l'immigration ont rejeté la demande, soulignant que les mariages de même sexe n'étaient pas autorisés par le droit lituanien, et que par conséquent le mariage du couple ne pouvait être juridiquement reconnu dans le pays.
Selon les autorités, cela serait considéré comme un regroupement familial, et dans ce cas il n'y aurait aucune base légale permettant de délivrer le titre de séjour. En appel, la Cour régionale de Vilnius a pris la même position.
Est-ce constitutionnel?
L'affaire est finalement passé devant la Cour suprême administrative de Lituanie (CSAL), où un groupe élargi de juges l'a examinée.
Dans son verdict, la CSAL a pris en compte plusieurs aspects importants, notamment l'application du droit européen et des questions sur le droit constitutionnel.
La Cour a estimé que le droit européen, et principalement la directive 2004/38/EC (la directive sur la "libre circulation"), ne pouvait s'appliquer aux circonstances particulières des deux hommes.
Les plaignants n'avaient pas résidé dans un autre pays européen pendant une période de temps significative, tel que cela est établi par le droit européen, et leur brève visite au Danemark afin d'enregistrer leur mariage ne suffit pour appliquer les dispositions de la directive.
Toutefois, la Cour estime que la Loi sur le statut légal des étrangers de la République de Lituanie ne garantit pas que les personnes vivant ensemble afin de fonder une famille, mais dont le mariage n'est pas reconnu par la loi nationale, aient les mêmes garanties que les autres. Et ceci, aux yeux de la Cour, porte atteinte au principe d'égalité de traitement, interfère de manière disproportionnée avec la vie privée et va à l'encontre de la jurisprudence constitutionnelle relative à la définition de famille.
En lumière de ces considérations, la CSAL a renvoyé cette question à la Cour constitutionnelle.
Quelle décision en prévision?
En 2011, la Cour constitutionnelle avait rendu un jugement polémique, estimant que la Constitution reconnaissait les familles qui étaient unies à travers des unions autres que le mariage, fondées sur un "attachement émotionnel stable, une compréhension mutuelle, la responsabilité, la collaboration parentale et des liens similaires, ainsi que la décision volontaire d'assumer certains droits et devoirs qui forment la base de la maternité, de la paternité et de l'enfance au sens prévu par la Constitution".
Le verdict n'a fait aucune mention des unions de même sexe, ce qui veut dire que la Cour constitutionnelle a désormais l'opportunité de clarifier sa précédente interprétation.
Si la Cour constitutionnelle décide de suivre les arguments mis en avant par la Cour suprême administrative de Lituanie, son verdict renforcera certainement de manière significative la protection juridique accordée aux couple de même sexe dans le pays.
Une question similaire a été abordée à la Cour européenne des droits de l'homme l'an passé. Dans l'affaire Taddeucci et McCall c. Italy, la CrEDH avait estimé que traiter les couples homosexuels et hétérosexuels différemment dans le contexte de l'immigration (en délivrant des permis de séjours aux étrangers au titre du regroupement familial) portait atteinte au respect de la vie privée et à l'interdiction de discrimination, tels que prévus dans la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
Dans un avis concordant, le juge Spano (Islande) a souligné que "l'impossibilité en Italie, à l'époque, pour les coupes de même sexe d'acquérir le statut marital ou d'autre forme de reconnaissance de leur relation, ne pouvait pas, en vertu de toute interprétation raisonnable de l'article 8, utilisé conjointement avec l'article 14 de la Convention, avoir accordé moins de reconnaissance à leur relation dans le contexte particulier des procédures d'immigration".
Bien que la Cour suprême de Lituanie n'ait fait aucune référence à l'affaire italienne, on s'attend à ce que cette dernière joue un rôle dans la décision de la Cour constitutionnelle.