L'idée selon laquelle l'accès aux fonds européens devra être conditionné par le respect de l'état de droit avait été entérinée l'an passé par certains gouvernements et certains Commissaires de la Commission européenne. C'est ce que l'on appelle la "condition de l'état de droit" ou "conditionnalité de l'état de droit". Autrement dit, le respect de l'état de droit devient une condition en vue de recevoir des fonds européens. Mais cette recommandation avait été abandonnée car personne ne pouvait réellement proposer une mise en pratique facile de cette mesure.
Certains experts avaient suggéré la création par l'UE d'un nouveau système permettant de superviser régulièrement tous les gouvernements afin de voir s'ils respectent ou non les normes européennes en matière de droits fondamentaux, de démocratie et état de droit. L'idée était la suivante : les gouvernements qui respectaient pleinement ces normes pouvaient se voir récompenser par des fonds supplémentaires et ceux qui ne respectaient pas le normes pouvaient être sanctionnés par des coupes et suspensions des fonds. Liberties soutient cette proposition. Cela ressemble fort à ce que nous avions nous-mêmes recommandé par le passé. Mais nous savons également que l'opposition politique à ce projet, visant à créant un nouveau système de supervision, est extrêmement forte. Et cela signifie que la solution idéale n'est tout simplement pas viable.
Parfois, quand on veut atteindre le progrès, il faut avancer par petits pas. Et, c'est malheureusement le cas pour tout ce qui concerne l'UE. Nous avons donc suggéré une façon dont l'UE pourrait couper ou suspendre les fonds européens aux pays européens qui bafouent l'état de droit, qui éviterait d'avoir à construire et mettre en place un système de supervision totalement nouveau. L'idée de Liberties était la suivante : le droit de l'UE oblige déjà les gouvernements à créer des organes au niveau national en vue de superviser la manière dont les fonds européens sont dépensés et la légalité de la redistribution. Et techniquement, cela inclut déjà l'obligation pour les gouvernements de disposer de tribunaux indépendantes qui puissent à avoir le dernier mot à dire concernant ces dépenses. Tout ce que l'UE a besoin de faire ici, est d'énoncer ces obligations plus clairement. Nous avons formulé nos recommandations plus précisément dans ce document d'orientation politique.
Liberties a de quoi être fier, car ce que la proposition de nouveau mécanisme émise par la Commission ressemble fortement à ce que nous avions suggéré. Nous aimons penser que notre approche pragmatique a permis à la Commission de mettre en pratique la "conditionnalité de l'état de droit", sans avoir dû apporter de grands changements auxquels la plupart des gouvernements s'oppose.
La Commission a indiqué que si les gouvernements commençaient à mettre en danger l'indépendance des juges et tribunaux, ou des personnes chargées de surveiller la légalité des dépenses et de la répartition des fonds européens, telles que les procureurs ou contrôleurs et enquêteurs en matière de fraude, alors elle pourrait bien couper une partie des fonds accordés au pays concerné. Car si cette supervision ne s'effectue pas dans les meilleurs conditions et n'est pas effective, les gouvernements corrompus peuvent facilement "se remplir les poches" avec de l'argent destiné à bénéficier à la population. Nous disposons d'ailleurs de nombreuses preuves attestant que c'est le cas en Hongrie.
Cela pourrait constituer un moyen très efficace de dissuader les gouvernements autoritaires de détruire nos libertés et la démocratie. Pourquoi? Il se trouve que les fonds destinés à la Pologne et la Hongrie, où la situation est la plus grave et préoccupante, sont très importants. La contribution des fonds européens représente entre 3 et 7% du PIB de la Hongrie ces dernières années. Quant à la Pologne, elle reçoit la plus belle part des fonds européens, avec 86 milliards (sur un total de 450 milliards). En définitive, la prochaine fois qu'un gouvernement autoritaire veut réduire les libertés, il ferait mieux de bien y réfléchir avant de passer à l'acte.
Toutefois, il existe un petit contretemps : il se peut que la proposition de la CE ne soit pas soumise au Conseil de l'UE à temps. Le mécanisme ne peut être créé sans l'accord de l'ensemble des pays membres. Cela ne veut pas nécessairement dire que le projet est mort dans l'oeuf. Rappelez-vous, l'argent de l'UE, c'est notre argent : il provient principalement de nos impôts. Et proportionnellement, les pays plus riches de l'UE payent plus que ce qu'ils ne reçoivent, tandis que les pays moins développés reçoivent plus que ce qu'ils n'ont à payer. Cela veut dire que ce sont davantage les pays les plus riches de l'UE qui soutiennent cette mesure de "conditionnalité de l'état de droit", ces derniers ne souhaitant montrer à leurs citoyens que c'est leur argent qui financent les gouvernements autoritaires.
Bien que certains gouvernements s'opposent fortement à cette idée (devinez qui...), il est possible qu'ils se sentent forcés d'y consentir. Pourquoi? Parce que l'approbation de tous les pays de l'UE est nécessaire en vue d'établir les nouveaux programmes de financements. Aussi, si la Pologne et la Hongrie n'acceptent pas cette mesure, d'autres pays plus affluents pourraient-ils simplement refuser de valider les budgets qui leur accordent initialement des fonds européens.
Nous avons assisté à un scénario similaire concernant des accords passés entre la Norvège, la Hongrie et la Pologne. La Norvège accorde des fonds à ceux pays et à d'autres membres récents de l'UE : cela fait partie du "prix à payer" afin d'avoir accès a l'union douanière de l'UE. Dans le cadre de ces fonds, la Norvège prévoit un pourcentage destiné aux ONG de défense des droits et de la démocratie. Récemment, la Hongrie et la Pologne ont essayé de prendre le contrôle de ces fonds pour retirer les aides destinées aux organisations de la société civile qui critiquent leurs gouvernements respectif, avant toutefois d'abandonner cette idée, la Norvège ayant menacé de ne plus donné aucun fonds si elle ne pouvait plus accorder de subventions à ces subventions.
Compte tenu de l'importance de ces fonds externes accordés à ces gouvernements, l'obligation de respect de l'état de droit représente un outil très puissant en vue de protéger les libertés et les droits fondamentaux.