La pandémie de coronavirus met très sérieusement à l'épreuve les services de santé de bon nombre de pays. L'épidémie a révélé indéniablement les déficiences et les pénuries de matériel, ainsi que les inégalités entre les établissements de santé d'un même pays. Les États tentent de résoudre ces problèmes, notamment à travers des moyens technologiques. Mais sans avoir eu le temps d'évaluer correctement l'impact de ces dernières sur leur population.
Les solutions technologiques sont envisagées, mais elles pourraient accroître les inégalités
Il a été question d'utiliser des données de géolocalisation des entreprises de télécommunication, de développer des applications pour téléphones portables afin de fournir des informations et de surveiller les utilisateurs, d'utiliser l'intelligence artificielle en vue de prédire la demande et anticiper les besoins, et de surveiller les contacts à travers une grande variété de systèmes. On note qu'il y a eu peu de coordination entre les organes responsables de la santé publique dans le développement et mise en oeuvre de ces solutions, alors que cela aurait dû être le cas et ce dès le début de la crise.
La technologie est vue comme un "plus" pour contrôler le respect des mesures de distanciation et confinement. Elle peut être rapidement mise en place et peut répondre aux demandes des autorités en charge de la santé et de la gestion des ressources. Cependant, cela pose un certain nombre de problèmes en matière de respect de la vie privée, et notamment en ce qui concerne le traitement des données obtenues et les garanties concernant leur utilisation. Mais nous devons rappeler que la technologie ne peut être utilisée à ces fins que si les personnes disposent des appareils adéquats et que cela peut donc agrandir le fossé entre ceux qui ont un smartphone et ceux qui n'en ont pas. Cela affecterait donc davantage les personnes "défavorisées".
Des mesures qui peuvent créer un faux sentiment de sécurité, tout en restreignant les droits
Tandis que la pandémie continue, le débat a évolué et il est désormais question de mettre en place une autorisation juridique afin de contrôler individuellement les personnes (il était question avant cela d'utiliser des données agrégées et anonymisées). Des pays tels que les Pays-Bas ont déterminé qu'une application de contrôle a besoin d'une base d'utilisateurs d'environ 60% afin d'être efficace, et étant donné le faible pourcentage de citoyens qui l'on installé dans des pays comme Singapour (seuls 16%), les autorités envisagent de rendre son installation obligatoire.
D'autres mesures peuvent inclure le contrôle des mouvements via des codes QR afin de faciliter un assouplissement graduel du confinement, et l'utilisation de caméras thermiques avec la reconnaissance faciale pour détecter les personnes potentiellement malades. Dans de nombreux cas, il faut garder à l'esprit que ce type de mesures ont des marges d'erreur inacceptables et créent un faux sentiment de sécurité, tout en autorisant à porter atteinte à la vie privée des individus.
Au final, le débat qui a émergé place les citoyens devant un faux dilemme, consistant à choisir entre leur vie privée et la lutte contre l'épidémie. Une lutte qui, comme cela a été annoncé, demande des efforts de la part de tout le monde, et pour laquelle chacun.e est appelé.e à faire des concessions.
Les autorités savent dans quelle mesure la conscience sociale des masses fonctionne, surtout pendant des situations critiques comme celle-ci. Un simple regard sur les débats traitant du contrôle des données personnelles ou sur la sécurité des outils de cryptage au lendemain des attaques terroristes nous permet de constater que des situations externes peuvent changer la perception des utilisateurs vis-à-vis de la valeur de leurs droits, et nous montre jusqu'où ils sont prêts à aller.
La population est prête à accepter que les libertés soient limitées, mais il ne sera pas aisé de les récupérer
Dans la situation actuelle, il est probable que nous acceptions que nos droits soient limités, ce qui n'aurait pas été possible dans des circonstances ordinaires. Accepter que notre localisation soit suivie ou que nos visages soient enregistrés dans des programmes de reconnaissance faciale pour recevoir une certaine sécurité en retour semble nous convenir. Le problème, c'est que l'abandon de nos droits est simple, mais pouvoir les récupérer, une fois que la situation retourne à la normale, est "une autre paire de manches".
En raison de la durée et gravité de la situation, la société est à présent davantage susceptible de changer sa perception de la normalité. Et malgré les garanties contenues dans les systèmes de réglementation, au final, nombre des mesures adoptées par différents pays prévoient des limitations disproportionnées sur les droits.
Nous avons oublié les principes de base tels que le respect de la vie privée "dès la conception" et "par défaut", et le besoin de minimiser les données, car les institutions disent que toutes les informations sont strictement nécessaires. Et de nombreuses applications, développées à la fois par des individus et des institutions, ont été conçues non pas pour protéger les utilisateurs mais bien pour collecter leurs données personnelles.
Il est difficile de parler de réel consentement conscient dans ce cas, notamment lorsqu'il s'agit d'outils qui sont fournis aux citoyens par les services de santé. Face à des symptômes de maladie, la plupart des gens n'hésitent pas et utilisent les applications nécessaires, sans vraiment faire attention aux politiques de confidentialité et sur les possibles utilisations de leurs données.
Le cadre juridique européen est suffisamment souple, mais les garanties en matière de droits ne peuvent être ignorées
Les réglementations sont suffisamment flexibles pour que soient adopter des mesures exceptionnelles telles que celles qui sont mises en oeuvre pendant l'épidémie. Comme plusieurs autorités en charge de la protection des données l'ont souligné, la législation n'a pas été abrogée en réponse à la pandémie, et nous devons prendre cela en compte. Le cadre juridique européen est différent de celui d'autres pays, souvent utilisés comme exemples, comme la Chine, la Corée du Sud ou encore Singapour La gravité ne devrait pas être utilisée comme une excuse pour oublier les garanties et garde-fous déjà existants, car il est encore possible de faire bien les choses.
Il est vrai que ces derniers jours, des projets pan-européens axés sur le partage des données et informations de tous types, et sur le développement de systèmes décentralisés prévoyant des garanties pour la vie privée en ce qui concerne la traçabilité des contacts via le Bluetooth, ont été mis en place. Mais cela ne s'est produit que lorsque la situation a atteint ses limites. Il est aussi important de rappeler que la technologie ne devrait pas constituer le seul outil à utiliser. Il ne s'agit que d'un pilier de plus dans l'ensemble de mesures à adopter.
Les récentes épidémies ne nous ont jamais préparé à cela
Malgré la situation que nous avons vécu avec le SARS-Cov en 2003 et MERS-Cov en 2015, la réalité de cette actuelle épidémie a dépassé toutes les prévisions. Le virus est combattu avec des services de santé qui manquent de ressources et qui ne sont pas correctement coordonnés. À quoi bon utiliser l'intelligence artificielle pour faire des prédictions sans un modèle de données qui ne permette l'intégration d'informations émanant de différents gouvernements si la base n'est pas correcte ? Toute projection formulée de cette manière serait défaillante.
ll est indéniable que nous faisons face à une situation exceptionnelle, qui requiter la mise en place de mesures extraordinaires. Mais ces dernières doivent être limitées dans le temps, et les données traitées doivent aussi avoir des objectifs limités. Que se passera-t-il quand tout sera fini ? C'est la question que nous dès à présent tou.te.s nous poser.
It is undeniable that we are facing an exceptional situation, which requires extraordinary measures. But these must be delimited in time, and the data treated should have also limited purposes. What will happen when everything ends? This is the question we must ask ourselves.