Liberties a publié son quatrième rapport annuel sur l'état de l'état de droit dans l'Union européenne. Le rapport de Liberties, élaboré par 45 organisations membres et partenaires, présente des analyses détaillées sur la santé de la démocratie, des droits fondamentaux et de l'état de droit dans 18 États membres de l'UE.
Le Liberties Rule of Law Report 2023 est un rapport alternatif qui précède l'audit annuel de la Commission européenne sur l'état de droit, dont la publication est prévue en juillet. Il s'agit également d'un bilan annuel, qui présente les tendances de la trajectoire des questions clés qui sous-tendent l'État de droit et la démocratie, comme le système judiciaire, les freins et contrepoids, la liberté des médias, l'espace civique et la corruption.
La lutte contre la corruption au point mort
Le rapport met à nu les nombreuses menaces qui pèsent sur la démocratie en Europe. Mais parmi tous les domaines analysés par nos organisations membres et partenaires, il n'y en a qu'un seul pour lequel aucun pays ne connaît une situation pire qu'en 2021 : la corruption. La majorité des organisations n'ont vu aucun changement, bon ou mauvais, dans le cadre de la lutte contre la corruption existant dans leur pays.
Si nous pouvons nous réjouir qu'aucun État membre n'ait reculé dans sa lutte contre la corruption, un seul a fait état d'évolutions positives : La Hongrie, de manière assez surprenante. L'absence de régression n'est pas, en réalité, une raison de se réjouir. Le rapport de cette année montre clairement que les règles et les mécanismes visant à mettre fin à la corruption sont tout simplement trop faibles dans de trop nombreux pays.
C'est très inquiétant car il est essentiel d'éradiquer la corruption si l'on veut garder des démocraties en bonne santé. Sans mesures anticorruption solides, les responsables politiques corrompus et leurs alliés du monde des affaires peuvent s'approprier les fonds publics. Cela signifie moins d'argent pour les services dont nous avons besoin, comme des écoles et des hôpitaux bien financés ou des transports en commun adéquats. La corruption peut également influencer ce que nous voyons ou lisons dans les médias, ainsi que les intérêts qui finissent par influencer le processus législatif.
Des problèmes familiers persistent
La Hongrie a effectivement amélioré son cadre de lutte contre la corruption par rapport à L'année 2021. Bien sûr, quand on ne peut que progresser, ce n'est pas vraiment louable. Et en effet, nous observons toujours une corruption profonde en Hongrie. L'amélioration a pris la forme d'un ensemble de lois anti-corruption que le gouvernement a adopté fin 2022 afin d'obtenir les fonds de relance (COVID recovery) de l'UE. Comme le dit notre membre hongrois, l'Union hongroise des libertés civiles (HCLU), les nouvelles réglementations ont été adoptées "pour parvenir à un accord avec la Commission européenne" et non pour réellement mettre fin à la corruption.
La HCLU considère que les nouvelles lois sont au mieux insuffisantes, et très probablement dépourvues de sens. L'organisation note que l'adoption de lois anti-corruption dans un pays où la corruption est systémique et qui ne dispose pas d'un système judiciaire indépendant ou de garanties juridiques "revient à habiller un criminel récidiviste avec des vêtements neufs et à attendre de lui qu'il devienne un citoyen respectueux des lois". Si le fait de proposer une nouvelle législation anti-corruption (bien que probablement sans effets) suffit à montrer un mouvement positif de la part de la Hongrie, il est clair que le seul "point lumineux" de notre aperçu du cadre anti-corruption des pays est tout sauf un point positif.
Il y a eu d'autres exemples de progrès, de moindre ampleur que ceux de la Hongrie mais plus susceptibles d'entraîner des changements positifs. L'Italie a adopté un nouveau plan de lutte contre la corruption, même si elle n'a toujours pas progressé dans la lutte contre la corruption liée au lobbying ou dans la transposition de la directive européenne sur les lanceurs d'alerte. La République tchèque a annoncé qu'elle prévoyait de créer un nouveau registre des lobbyistes afin de suivre l'influence sur la législation, mais elle n'a rien fait non plus pour protéger les lanceurs d'alerte, tandis que des affaires de corruption individuelles impliquant des figures politiques de premier plan - dont le président sortant, Milos Zeman, et l'ancien premier ministre, Andrej Babis - continuent de ternir la réputation du pays.
Le lien entre la corruption et d'autres problèmes urgents
Le manque persistant de protection des lanceurs d'alerte constitue sans doute la lacune la plus courante observée au sein des pays étudiés est sans doute. Les lanceurs d'alerte peuvent pourtant être des remparts essentiels contre la corruption. Les Pays-Bas et la Croatie n'ont pas réussi à donner à ces derniers le niveau de protection exigé par la directive européenne, tandis que la Bulgarie, la République tchèque, l'Estonie, l'Italie, la Slovaquie et l'Espagne n'ont fait aucun progrès législatif pour protéger les lanceurs d'alerte.
La nécessité de protéger les lanceurs d'alerte montre combien la corruption touche d'autres domaines, comme le droit à l'information ou la liberté d'expression. En protégeant comme il se doit le droit des lanceurs d'alerte et leur permettant de dénoncer librement les actes répréhensibles, ainsi que le droit à l'information publique, nous leur donnons les moyens de dénoncer les actes de corruption et autres actes répréhensibles sans crainte de représailles.
C'est également évident en ce qui concerne les poursuites bâillons, les SLAPP (de l'anglais Strategic Lawsuits Against Public Participation, poursuites judiciaires contre la mobilisation publique). Ces poursuites abusives sont le plus souvent lancées par des individus ou des entreprises puissants contre des journalistes d'investigation ou d'autres organismes de surveillance dans le but de les faire taire et de les empêcher de faire leur travail. Cela permet à la corruption de rester cachée, privant les citoyennes d'informations importantes et provoquant un effet dissuasif sur les journalistes et les acteurs de la société civile qui, autrement, tireraient la sonnette d'alarme. Les poursuites bâillons restent un problème urgent dans toute l'UE, comme le rapportent nos membres et nos organisations partenaires en Allemagne, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne et Suède.
Et il est édifiant de constater qu'au lieu de soutenir les défenseurs des droits et les lanceurs d'alerte dans leurs efforts visant à dévoiler la corruption et les méfaits, les gouvernements se lancent dans des campagnes de dénigrement et diffamation afin de les discréditer. En Italie, par exemple, nos organisations membres et partenaires rapportent que les attaques verbales contre la société civile de la part des membres du gouvernement, notamment en lien avec le scandale du Qatargate, font craindre le début d'une nouvelle phase de criminalisation et de diffamation de la société civile, sapant sa crédibilité aux yeux du public. En Slovénie et en Suède, certaines personnalités politiques mènent des campagnes de dénigrement contre des acteurs de la société civile, notamment en diffusant des informations mensongères, sans en subir les conséquences.
Des efforts accrus doivent être entrepris pour éradiquer la corruption à tous les niveaux
Bien que le cadre de lutte contre la corruption ne se soit détérioré dans aucun des États membres examinés dans le Rapport 2023 sur l'état de droit dans le domaine des libertés, nous n'avons aucune raison de nous réjouir. Dans l'ensemble, presque aucun pays n'a apporté de changements positifs concrets dans ce domaine. Le seul à l'avoir fait, la Hongrie, l'a fait simplement pour obtenir un financement de l'UE, et nous avons toutes les raisons de douter que les nouvelles réglementations aient une quelconque valeur dans la pratique. Nous demandons instamment à la Commission européenne d'insister fermement pour que les États membres en fassent plus pour combattre la corruption. Une législation solide contre la corruption devrait être une priorité dans tous les États membres, tout comme la mise en œuvre de lois appropriées pour la protection des lanceurs d'alerte et de mesures anti-SLAPP.
Pour être crédible et exercer une certaine pression, l'UE doit également montrer l'exemple. Les révélations choquantes du scandale de corruption du Qatargate qui ébranlent le Parlement européen risquent de nuire à la crédibilité et à la réputation morale de l'UE. Elle en a pourtant besoin pour gagner le soutien de la population en faveur de la protection de l'état de droit. Il est décourageant de voir que les discussions sur le Qatargate sont utilisées pour justifier un resserrement de l'étau sur les ONG - avec des efforts bien intentionnés qui risquent de finir par aider accidentellement ceux qui tentent de réduire au silence les défenseurs des droits et les progressistes, au lieu de combattre et de faire obstacle aux pots-de-vin et à la corruption. L'UE doit s'attaquer au problème dès le départ, en lançant une enquête indépendante au niveau de toutes les institutions. Elle doit veiller à ce que les personnes impliquées rendent des comptes et renforcer les mécanismes visant à prévenir des pratiques similaires à l'avenir - comme la société civile le réclame depuis longtemps.
La corruption, ce n'est pas seulement de l'argent qui disparaît dans les poches des responsables politiques et de leurs alliés. C'est aussi nos hôpitaux en sous-effectif, nos écoles sous-financées, nos routes en ruine. Sans mesures anti-corruption adéquates, il nous est tout simplement impossible de construire les sociétés démocratiques fortes, saines et libres que nous souhaitons.
Ressources
Le rapport complet « Liberties Rule of Law Report 2023 » est disponible ici (en anglais).
Lire des articles connexes (en anglais) :
Tools to Stop Corruption Are Too WeakSee previous rule of law reports
Civil Society in 2023: NGOs Still Left Out in the Cold
Rapports 2023 par pays et organisation(s) :
- Le
Rapport 2023 comprend les contributions de 45 organisations de défense
des droits humains, représentant 18 États membres de l'UE :
- Ligue des droits humains (Belgique),
- Bulgarian Helsinki Committee (Bulgarie),
- Centre for Peace Studies (Croatie),
- League of Human Rights, Glopolis (République tchèque),
- Human Rights Center (Estonie),
- Vox Public (France),
- the Society for Civil Rights, FragDenStaat, LobbyControl (Allemagne),
- the Hungarian Civil Liberties Union (Hongrie),
- the Irish Council for Civil Liberties, Irish Congress of Trade Unions, Trinity College Dublin School of Law, The Immigrant Council of Ireland, Inclusion Ireland, Intersex Ireland, Community Law and Mediation, Justice for Shane, Mercy Law Resource Centre, Irish Penal Reform Trust, The National Union of Journalists, Age Action Ireland, The Irish Network Against Racism, Outhouse, Irish Traveller Movement, Pavee Point, FLAC-Free Legal Advice Centres, Mental Health Reform (Irlande),
- Antigone Association, Italian Coalition for Civil Liberties and Rights (CILD), A Buon Diritto Onlus, Association for Juridical Studies on Immigration or ASGI,Osservatorio Balcani e Caucaso Transeuropa (OBCT) (Italie),
- Human Rights Monitoring Institute (Lituanie),
- Netherlands Helsinki Committee, Free Press Unlimited, Transparency International Nederlands (Pays-Bas),
- the Helsinki Foundation for Human Rights (Poland),
- Apador-CH (Roumanie),
- Via Iuris (Slovaquie),
- Peace Institute (Slovénie),
- Rights International Spain (Espagne),
- Civil Rights Defenders, International Commission of Jurists (Suède)