La procédure en question est celle prévue par l'Article 7 du Traité de l'UE. Le Parlement ne vient pas de voter dans le but d'imposer des sanctions à Varsovie, car il n'en n'a pas le pouvoir. Le vote, en revanche, permet d'enclencher la procédure de l'Article 7.
Pourquoi Orbán a-t-il perdu la protection du parti de centre-droit du Parlement ?
Les eurodéputé.es du parti Fidesz font partie du groupe politique européen du Parti populaire européen (PPE), le groupe le plus représenté au sein du Parlement européen (PE). Jusqu'à récemment, le groupe PPE avait toujours voté en bloc contre les résolutions qui visaient le gouvernement hongrois, en signe de loyauté envers leur parti membre, Fidesz.
Mais les député.es du PPE sont devenu.es de moins en moins à l'aise avec les attaques d'Orbán visant les droits et la démocratie. Jusqu'à présent, savoir si les membres du PPE allaient soutenir ou non le parti Fidesz restait incertain, mais ces derniers ont finalement décidé d'appuyer l'activation de l'Article 7 contre la Hongrie.
Difficile cependant de savoir ce qui a encouragé le PPE à voter contre Fidesz, son propre membre. Récemment, Orbán a renforcé ses liens avec des partis populistes autoritaires européens tels que Loi et justice (Pologne) ou la Ligue italienne qui ne font pas parti du PPE. Orbán a sans doute menacé la direction du PPE de quitter le groupe politique si ce dernier votait pour l'activation de l'Article 7. Mais le PPE a décidé de ne pas céder à ce coup de bluff, considérant que le parti d'Orbán ne prendrait pas le risque de quitter le plus grand groupe politique du Parlement européen. En outre, Manfred Weber, qui dirige le groupe PPE a sans doute vu ce vote comme une occasion de faire taire ses détracteurs. Weber souhaite devenir le prochain président de la Commission européenne à la suite des prochaines élections européennes de 2019. Mais ce dernier s'est souvent vu critiqué pour avoir soutenu Orbán par le passé, en dépit des claires violations des droits fondamentaux européennes commises par le parti Fidesz. Weber peut donc désormais prouver qu'il est enclin à faire placer les valeurs européennes au-dessus des partis politiques, et ce grâce à ce vote.
La suite des évènements
La Hongrie sera désormais à l'ordre du jour du Conseil de l'UE. Ce dernier est le lieu où les ministres des pays membres se rencontrent. La procédure de l'Article 7 risque bien d'être longue et fastidieuse. Pour arriver à imposer des sanctions, il faut passer par trois différentes phases, chacune comprenant un vote.
Phase 1
Il faut, en premier lieu, reconnaître qu'il existe un "risque évident de violation des droits et des libertés énoncés dans l'Article 2 du Traité de l'UE. Le vote doit pour ce faire recueillir au moins 22 voix. Et les gouvernements peuvent aussi formuler des recommandations au pays visé avant de passer au vote.
Quiconque est informé.e sur ce qui se passe en Hongrie sait que le "risque" n'en est plus un et que les droits et libertés sont bel et bien bafoués par Varsovie. Mais peu importe, le Conseil passera par ce premier vote de la phase 1, et cette dernière peut s'avérer longue et fastidieuse. Les discussion pourraient traîner pendant de mois, comme c'est d'ailleurs le cas pour la Pologne...
Et on peut comprendre pourquoi il est dans l'intérêt de certains gouvernements que la procédure n'avance pas. En effet, certains pays ont bien peur d'être les prochains à être visés. Et ceux qui veulent aller plus avant craignent de ne pas recueillir 22 voix. Cette première phase pourrait donc s'éterniser, ce qui n'empêcherait pas le discussions de continuer mais cela ne permettrait pas de prendre de décision formelle.
Phase 2
Si les Conseil vote à la majorité requise lors de la phase 1, que la situation hongroise ne s'améliore pas, alors le Conseil passera à la phase 2 et organisera un nouveau vote. Cette fois-ci, ils devront voter pour dire que la situation en Hongrie équivaut à une "violation grave et persistante" des droits et libertés contenus dans l'Article 2. Mais ce vote doit être adopté à l'unanimité (à l'exception du pays visé par la procédure).
Cette phase est particulièrement sensible. De nombreux gouvernement sceptiques à l'idée d'utiliser l'article 7 peuvent changer d'avis. Mais la Pologne et la Hongrie ont juré de se protéger dans l'éventualité d'un tel vote. Certains universitaires pensent qu'un bon moyen d'éviter cela serait de réunir les votes concernant la Pologne et la Hongrie en une seule session, ce qui exclurait ces deux pays du vote. Mais il n'est pas certain que cela soit possible d'un point de vue juridique...
Phase 3
Si les deux premiers votes sont adoptés, et si la situation ne s'améliore pas, alors l'UE peut passer à la phase 3, et enfin, prendre des mesures et imposer des sanctions à la Hongrie. La décision doit être adoptée à la "majorité qualifiée" (pour faire simple, le vote doit recueillir 16 voix sur 28).
Les sanctions comprises dans l'Article 7 concernent toute mesure qui retire un des droits obtenus par un pays à son adhésion à l'UE. L'exemple le plus souvent cité est le retrait des droits de vote du pays. Celui-ci n'aurait plus son mot à dire vis-à-vis des lois adoptées au niveau européen. Mais ce ne sont pas les seuls privilèges dont les pays membres bénéficient en adhérant à l'UE. Il y aussi la liberté de commerce, la libre circulation des capitaux, la liberté d'acheter et vendre des services partout dans l'UE, la possibilité de participer à des centaines réunions où les lois et politiques sont pensées et élaborées, où les décisions se prennent. Des sanctions plus symboliques peuvent être prévues : cesser de traduire les documents officiels dans la langue du pays, ne pas promouvoir les citoyens de ce pays à des postes de fonctionnaires plus élevés.
Le vote du parlement peut-il faire une différence ?
Même si le Conseil accélérait cette procédure et passait directement à la phase 3, il serait tout de même difficile de voir ce qu'il peut faire en vue de protéger et restaurer les droits et la démocratie en Hongrie. Ce vote arrive bien tard, de plusieurs années. À présent, les médias hongrois sont déjà presque tous pro-gouvernement, les groupes critiques ont été réduits au silence, le système électoral a été truqué pour favoriser le parti au pouvoir, et l'opposition politique est quant à elle en déroute. Si la Hongrie ne faisait pas partie de l'UE, l'Union pourrait plonger tête baissée et commencer à financer les médias indépendants, les ONG et les partis de l'opposition. Mais la Hongrie est un des États membres de l'UE, et l'UE n'est pas autorisée à interférer dans ces questions au sein de sa propre communauté.
Liberties a avancé que l'UE devrait créer un nouveau fonds : l'Instrument des valeurs européennes, afin de soutenir financièrement les droits des activistes au sein de l'UE, comme il le fait pour les activistes établis en dehors de l'UE. Cela pourrait contribué à accroître le soutien du grand public pour les droits et la démocratie. Mais la Commission européenne n'est pas vraiment encline à mener ce projet.
Liberties a également défendu l'idée selon laquelle l'UE devrait couper les fonds aux gouvernements qui violent les valeurs fondamentales. La Commission a récupéré cette suggestion et une nouvelle loi est en attente d'approbation au Conseil de l'UE. En effet, la Hongrie dépend fortement des fonds européens, et les couper ou réduire pourrait bien obliger Varsovie à changer de discours et d'attitude. Mais l'UE doit trouver un moyen de mettre en place une telle sanction sans que celle-ci ne porte préjudicie aux citoyen.nes hongrois.es, qui n'y sont bien évidemment pour rien. Liberties propose une solution : l'UE pourrait gérer les versements des fonds européens directement afin de s'assurer que cet argent bénéficie toujours aux citoyen.nes. Cette idée a pour l'instant été rejetée par la Commission.