La possibilité pour tout citoyen de défendre et faire valoir ses droits est essentielle : elle constitue un pilier de notre démocratie et une condition sine qua non d’une société juste. C’est à ce titre que l’accès à la justice est inscrit dans notre Constitution, comme dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Son caractère fondamental est donc évident. Pourtant, nos responsables politiques semblent avoir tendance à l’oublier : au cours de la dernière législature, une série de mesures ont gravement porté atteinte au droit d’accès à la justice.
Ces mesures, adoptées au nom d’une suspicion d’abus généralisés et d’économies à tout prix, ont nettement restreint les possibilités d’accès à la défense d’un avocat pour les personnes les plus démunies financièrement, mais aussi pour une grande part de la classe moyenne.
Les mesures qui détricotent l’accès à la justice
La charge de la preuve de l’indigence pour bénéficier de l’aide juridique gratuite s’est déplacée vers la personne demandeuse de l’aide, qui doit fournir un nombre de plus en plus important de documents parfois difficiles à obtenir et dans des délais très courts. Ce durcissement des conditions de désignation d’un avocat pro deo, au niveau des Bureaux d’Aide Juridique, a pour conséquence que de nombreuses personnes ne parviennent plus à faire reconnaître leur besoin – pourtant réel – d’une aide juridique.
Le budget de l’aide juridique, dont l’insuffisance est dénoncée depuis des années, a été sérieusement diminué, entraînant entre autres une révision à la baisse des indemnités accordées aux avocats pro deo (une diminution de 4,5% en deux ans), qui sont dès lors de plus en plus nombreux à abandonner la pratique de l’aide juridique.
L’aide juridique de première ligne, qui consiste à informer les personnes sur leurs droits et à les conseiller quant aux démarches possibles pour les défendre, a été transférée aux communautés par la 6ème réforme de l’Etat. C’est à ces dernières qu’il revient désormais de financer et d’organiser ce qui représente une clé de l’accès à la justice.
Jusqu’alors exonérés au même titre que les soins de santé, les services d’avocat sont désormais soumis à la TVA de 21%. Même chose pour les frais d’huissier, qui participent au coût toujours plus élevé de la justice pour le citoyen. Ces hausses de frais constituent un frein important pour les personnes issues de la classe moyenne, dont le revenu est supérieur au seuil de l’aide juridique gratuite mais pour qui le coût de la justice est énorme par rapport à leur budget moyen.
Les droits de rôle, dont tout justiciable doit s’acquitter pour introduire une procédure en justice, ont en 2012 fait l’objet d’une augmentation de 15 %. Une mesure qui peut aussi dissuader les bénéficiaires de l’aide juridique gratuite d’aller en justice car, en cas de condamnation au procès, ils seront redevables des droits avancés par leurs créanciers.
La classe moyenne trinque aussi
En conséquence de telles mesures, un nombre grandissant de personnes – en situation précaire mais aussi de la classe moyenne – n’ont aujourd’hui plus la possibilité de défendre et de faire valoir leurs droits. Un nombre par définition difficile à estimer puisque ces personnes restent dans l’ombre, invisibles et sans voix. Il peut s’agir d’une famille monoparentale, disposant d’un revenu de 1500 euros (donc au-delà du seuil de l’aide juridique) et n’ayant pas les moyens d’être défendue dans le cadre d’un litige avec l’établissement scolaire d’un de ses enfants ; ou bien d’une des parties d’un divorce, obligée de se défendre seule faute de moyens suffisants pour être assistée par un avocat ; ou encore d’une personne victime d’un propriétaire véreux ou d’une amende injuste.
Les mesures adoptées ces dernières années ont non seulement pour effet une nette précarisation du citoyen. Elles traduisent aussi un véritable glissement de la conception de la justice, de celle de « droit » à celle de « bien de consommation ».
L’ensemble des acteurs de l’aide juridique, tant des barreaux et des avocats que du monde associatif et syndical, s’accordent pour dire que la justice doit rester accessible à tous, et à ce titre demeurer un service public. Pour y parvenir, un refinancement durable et solidaire de l’aide juridique, qui représente aujourd’hui à peine 0,02% du budget de l’Etat, est indispensable.
Justice pour tous !
La plateforme Justice pour Tous, qui rassemble associations, syndicats et acteurs du monde judiciaire, demande qu’il soit mis fin au démantèlement – subtil mais bien réel – de l’accès à la justice.
Elle demande au prochain gouvernement fédéral de veiller à ce qu’enfin soient réfléchis, muris et développés durablement les conditions et les moyens d’un accès à la justice qui permette à toute personne, quel que soit son niveau de revenus, de défendre et de faire valoir ses droits.
En tant que rassemblement d’acteurs de la société civile autour de ces questions, la plateforme demande également à être entendue dans les processus de décision concernant l’accès à la justice.
Elle insiste en particulier pour que les communautés s’emparent véritablement de la question de l’aide juridique de première ligne, dont elles ont désormais la compétence, et lui reconnaissent enfin sa place centrale dans la prévention des conflits.
Une initiative de la Plateforme Justice pour Tous, soutenue par
Association de Défense des Allocataires Sociaux, Association pour le Droit des Etrangers, Association Syndicale des Magistrats, Atelier des Droits Sociaux, Caritas International, CBAR-BCHV, Centre d'Action Laïque, CIRE, Collectif Solidarité Contre l'Exclusion, DEI-Belgique, Jesuit Refugee Service, Ligue des Droits de l'Homme, Linksecologisch forum, Netwerk Tegen Armoede, Point d’Appui, Progress lawyers Network, Réseau de Lutte contre la Pauvreté Belge, Forum Bruxellois de lutte contre la pauvreté, Réseau Wallon Lutte contre la Pauvreté , Samenlevingsopbouw, Service Droits des Jeunes, Syndicat des Avocats pour la Démocratie, Vluchtelingenwerk Vlaanderen, Vrouwenraad.