Deux mineurs, Anna (13 ans) et David (16 ans) on été suspectés d'avoir commis un crime grave. Ils ont été emmenés au poste de police pour un interrogatoire. La police n'a pas pu commencer à interroger David avant qu'un avocat ne lui soit garantit, ce qui est obligatoire. L'avocat de la défense a informé David de ses droits et est intervenu plusieurs fois pendant l'interrogatoire. Suivant les conseils de ce dernier, David a décidé de garder le silence en réaction à la plupart des questions.
En ce qui concerne la plus jeune, Anna, la police a, en vain, tenté de contacter ses parents. Elle a été informée de son droit de recevoir une assistance juridique de la part d'un avocat de son choix, mais elle n'a pas pu appelé l'avocat elle-même, ou payer pour ses services. L'interrogatoire a alors été mené en la seule présence d'un travail social de l'Autorités pour la protection sociale et légale des mineurs, qui ne disposait pas d'une formation juridique. Anna ayant eu peur et désirant quitter le poste de police aussi vite que possible, elle a signé une déclaration dans la quelle elle avouait le crime dont elle était suspectée.
Plus tard, pendant le procès au tribunal, le témoignage de David n'a pu être utilisé, la loi l'obligeant a être contre-interrogé. De plus, David et son avocat de la défense ont pu contester et poser des questions à l'ensemble des témoins de l'accusation. A contrario, le témoignage d'Anna ainsi que sa confession ont été lus devant la Cour au cours de son procès et elle n'a eu l'opportunité de contester les témoins ou de leur poser des questions, car cela ne relevait pas de son droit procédural. Les témoignages des témoins non présents au procès on été lus uniquement dans la salle d'audience.
Vous vous demandez sans doute pourquoi la police et les juges ont traité Anna et David différemment ? La réponse est aussi simple que surprenante. Si David a 16 ans, soit un mineur (âgé entre 15 et 18 ans), et donc déjà pénalement responsable de ses actes, Anna a moins que l'âge minimum de responsabilité pénale qui est de 15 ans dans le pays. Aussi, aucune condamnation, sanction ou procédures pénales n'étaient possibles dans son cas.
Les mineurs de moins de 15 ans peuvent être privés de leur liberté, mais ils ne jouissent pas des mêmes protections que les mineurs de plus de 15 ans et les adules.
Même si les enfants âgés de moins de 15 ans, l'âge de responsabilité pénale, ne peuvent être être considérés comme pénalement responsables, ils font l'objet de procédures devant une Cour et peuvent donc faire l'objet de mesures. Les procédures impliquant des enfants de moins de 15 ans accusés d'actes criminels (čin jinak trestný) sont principalement réglementées par la Loi sur la justice juvénile (ou justice des mineurs). L'objectif des procédures n'est pas de punir l'enfant mais de protéger la société contre le comportement délinquant de l'enfant tout en respectant les besoins de ce dernier et en mettant l'accent sur leur intégration, protection et éducation/instruction. Les enfants sont représentés par un tuteur qui est avocat.e. Leurs droits et intérêts sont aussi protégés par l'Autorité pour la protection sociale et juridique des mineurs, et par des tuteurs.trices légaux, généralement les parents.
En dépit de la nature des procédures judiciaires pour les enfants âgés de moins de 15 ans, l'enquête (prověřování) est encadrée par le Code de procédure pénal. Cela signifie que la première mesure prise par la police est la même qu'avec des adultes ou mineurs de plus de 15 ans accusés de crimes. Cependant, un enfant de moins de 15 ans a le droit à une assistance juridique dès le début des procédures (défense juridique obligatoire), contrairement à un mineur âgé entre 15 et 18 ans. Par la suite, au cours du procès, la cour appliquant la procédure civile est autorisée à utiliser des déclarations écrites produites par l'enfant et les témoins, étant donné que l'enfant n'a pas le droit de contester et contre-interroger les témoins.
Bien que les enfant ne puissent être punis pour des comportements délinquants, les tribunaux peuvent imposer l'une des sept mesures prévues. La plus sévères d'entre elles, c'est à dire une éducation protective en institution (foyer) et un traitement protection en institution, constitue bien une privation de liberté.
La CrEDH a souligné que les enfants devraient être protégés par ces garanties en raison de leur vulnérabilité
Les garanties procédurales concernant les enfants qui ont moins que l'âge de responsabilité pénale ont été traitées par la Cour européenne des droits de l'Homme ("la Cour") dans l'affaire Blokhin c. Russia. Le requérant, un garçon russe de 12 ans, avait été placé temporairement dans un centre de détention pour un acte criminel d'extorsion. Il s'était plaint auprès de la Cour que son droit à un procès équitable, inscrit dans l'Article 6 de la CEDH (la "Conention"), c'est à dire son droit à une assistance juridique et le droit d'obtenir la comparution et interrogation des témoins, avait été violé.
Arès examen des critères formulés dans l'affaire Engel et Autres c. les Pays-Bas, la Cour avait conclu que la poursuite judiciaire du requérant devait être considérée comme une accusation pénale au sens de la Convention. Par conséquent, l'aspect pénal de l'Article 6 de la Convention pouvait s'appliquer à l'affaire et donc les garanties légales d'un procès pénal auraient dû s'appliquer. La Cour avait souligné que l'enfant ne pouvait pas être privé de ces importantes garanties pénales uniquement parce que de telles procédures (qui peuvent donner lieu à une privation de liberté pour le.la mineur.e) protègent en principe ses intérêts en tant qu'enfant et délinquant juvénile, plus que les procédures pénales.
La Cour avait mentionné plusieurs sources internationales, soulignant la vulnérabilité particulière des enfants, et affirmant qu'un mineur en deçà de l'âge de la responsabilité pénale devrait se voir garantir au minimum les même droits légaux et garanties que les adultes. La Cour avait déclaré que la Convention avait été violée, le droit du requérant à une aide juridique et le droit d'obtenir la comparution et interrogation des témoins n'avaient pas été respectées.
Les enfant en deçà de l'âge de responsabilité pénale devraient avoir le droit aux protections procédurales
À la lumière de l'affaire Blokhin et des instruments internationaux mentionnés plus haut, la réglementation tchèque des procédures dans l'affaire des mineurs de moins de 15 ans accusés d'avoir commis des actes criminels, ne semble pas être conforme aux normes internationales relatives aux droits humains. Les enfants de moins de 15 ans peuvent être exposés à de graves conséquences, telle que la privation de liberté, en raison d'un manque d'assistance juridique dès les toutes premières phases des procédures et de l'impossibilité d'obtenir la comparution et contre-interrogation des témoins devant la Cour. Ces droits constituent des garanties procédurales essentielles et garantissent un procès équitable.
De plus, si nous analysons les affaires des mineurs Anna et David, décrites plus haut, et comparons la réglementation des procédures dans le cas des mineurs de moins de 15 ans et dans celui des mineurs de plus de 15 ans, nous pouvons commencer à nous demander si la réglementation concernant les mineurs de moins de 15 n'est pas discriminatoire. Bien que les mesures d'éducation protective et traitement protectif puissent être imposés à ces deux types de mineurs (moins de 15 et plus de 15 ans), ce qui montre que ces groupes sont comparables, ce qui signifie que ces groupes sont comparables, mais que seuls les mineurs de plus de 15 ans ont le droit à des protections procédurales.
Nous n'avons pas discuté des protections procédurales dans les affaires de personnes accusées adultes dans cet article. Mais les procédures judiciaires pour les adultes sont impensables sans le droit de contre interroger les témoins devant la Cour. De plus, un.e avocat.e de la défense obligatoire est requis pour tous les crimes (pas pour les délits) au cours de l'enquête préliminaire et dans d'autres affaires spécifiées par la loi.
Les aspects problématiques de la réglementation ont été discutées dans les détails par plusieurs groupes d'expert.e.s. Malheureusement, leurs critiques et recommandations n'ont pas été entendues ou suivies. Certaines lacunes dans les procédures ont été traitées en 2017 dans la plainte internationale "Commission des juristes c. la République tchèque" auprès du Comité européen des droits sociaux.
Nous espérons que la décision du Comité conduira à l'adoption d'un amendement de la réglementation et que les mineurs de moins de 15 ans auront le droit à des protections procédurales appropriées et conformes aux normes.
Eliška Hronová travaille au Bureau du gouvernement tchèque auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme.