Aujourd'hui, l'Agence européenne des droits fondamentaux a publié son rapport qui examine la montée des restrictions auxquelles font face les activistes des droits de l'homme en Europe. L'étude réitère les résultats de l'article de Liberties sur le sujet, publié en septembre 2017, selon lesquels les groupes de défense des droits en UE sont actuellement confrontés à quatre problèmes majeurs. Si la Hongrie et la Pologne sont les pires pays membres en termes d'atteintes aux valeurs de l'UE, les problèmes sont présents partout en Europe. Tout d'abord, on compte de plus en plus de campagnes de diffamation et d'enquêtes fallacieuses des États, destinées à discréditer et intimider les ONG. Ensuite, les coupes dans les subventions publiques et tentatives de réduire les financements provenant de philanthropes (lesquels aident les ONG à rester indépendantes vis-à-vis des gouvernements). Troisièmement, les fardeaux bureaucratiques destinées à occuper les ONG avec un grand nombre de tâches administratives et de réduire le temps et l'énergie qu'elles pourraient consacrer à leur travail à la place de cela. Enfin, et il s'agit du quatrième problème, les gouvernements rendent les ONG illégales alors qu'avant ces derniers coopéraient et se consultaient.
Les ONG : incomprises et peu appréciées
Le rapport de l'ADF constitue une évolution positive et importante dans le sens où elle donne une reconnaissance officielle de l'UE des restrictions auxquelles font face les activistes en Europe. Malheureusement, il n'est pas garanti que cela se traduise par la prise de mesures à Bruxelles. Hormis un réveil bref suite à l'adoption problématique de la loi anti-ONG "à la russe" de la Hongrie, la Commission européenne et le Parlement européen se sont largement désintéressés des appels des activistes à protéger les ONG. Parmi les eurodéputés (membres du Parlement européen) en particulier, les ONG qui travaillent à la protection des libertés civiles, de l'état de droit et des normes démocratiques, de la protection de l'environnement et de la lutte contre la corruption, sont pris à tort pour des agents de la gauche politique. Récemment, à deux reprises, le groupe de centre-droite PPE (le plus important au Parlement) a tenté d'imposer des résolutions qui pourraient bloquer les financements pour ces organisations, et qui les présente comme des menaces pour le processus démocratique. Les tentatives de certains eurodéputés en vue d'avoir un débat dans l'agenda politique du Parlement, portant sur l'environnement de plus en plus hostile à l'égard des ONG en UE ont été anéanties à plusieurs reprises par les Socialistes et Démocrates de centre-gauche et le groupe PPE de centre-droite.
Le fait est que les ONG qui travaillent avec ces thématiques sont essentielles au bon fonctionnement de la démocratie. Tout d'abord, elles informent les citoyen.nes sur ce les activités des élus et rendent accessibles des questions politiques et juridiques qui sont complexes. Cela permet au grand public de suivre et de participer à la vie démocratique. Deuxièmement, les ONG travaillent dans l'intérêt général pour persuader les gouvernements de protéger les normes nationales et internationales existantes en matière de lutte contre la corruption, protection de l'environnement, libertés civiles, état de droit et démocratie. Ce travail permet à la volonté démocratique générale du people soit protégée face aux intérêts à court terme des partis politiques et les intérêts commerciaux.
En raison du rôle que les ONG jouent dans la protection de ces valeurs, elles se sont retrouvées dans des situations où elles sont visées par les responsables politiques aux tendances autoritaires. Les mesures anti-ONG font souvent partie d'efforts plus larges d'hommes et femmes politiques d'extrême droit visant à réduire au silence les voix critiques, ce qui comprend la prise de contrôle des tribunaux et les restrictions de la liberté de la presse.
De meilleures recommandations sont nécessaires
Le rapport de l'ADF formule de nombreuses recommandations. Le rapport suggère, comme l'avait fait initialement Liberties en 2016, ce qui est notable, que l'UE devrait créer un nouveau fonds destiné à soutenir les ONG qui travaillent à la promotion des valeurs de l'UE, de la démocratie et de l'état de droit. Actuellement, l'UE soutient les ONG en dehors de l'UE en vue de mener ce travail, et ce avec des centaines de milliers d'euros. Mais le gouvernement norvégien, et non l'UE, reste la principale source de financement pour les ONG qui travaillent au sein de l'UE. C'est une corde de sécurité considérables pour les activistes, mais il est embarrassant pour l'UE de laisser l'essentiel de la défense de ses propres valeurs à un allié.
Le rapport ne parvient pas à inclure d'autres recommandations qui pourraient aider à améliorer la situation, telles que deux suggestions proposées par Liberties. Premièrement, l'UE devrait créer une nouvelle législation qui permettrait aux groupes intimidés par les gouvernements de se déclarer en tant qu'association européenne afin d'échapper aux restrictions malveillantes imposées par le droit national. Cela rentre tout à fait dans les pouvoirs de l'UE, puisque cela avait déjà été proposé à la Commission européenne en 1990, avant d'être abandonné en raison d'un manque d'intérêt des gouvernements. Une seconde recommandation proposées par Liberties suggère que l'UE devrait désigner un haut responsable qui suive les attaques contres les ONG et ouvre des voies diplomatiques avec les gouvernements quand cela se produit. L'UE a déjà créé de tels organes en vue de couvrir la liberté de la presse et les incidents antisémites et islamophobes.
Le rapport sera-t-il suivi de mesures?
Il semble que, malgré le fait que les problèmes soient désormais connus clairement par un organe de l'UE, la CE souhaite retarder l'action et demande plus d'études et recherches sur la question. Cela pourrait s'avérer être une erreur qui coûterait cher. Comme l'explique cette auteure dans d'autres colonnes, l'UE a bien du mal à faire pression sur les gouvernements de Hongrie ou Pologne afin que ces derniers abandonnent ou révisent leurs lois rétrogrades qui détruisent l'indépendance de la justice et des médias. L'une des raisons pour lesquelles ces gouvernements ont été capables de mettre en place pareilles mesures est qu'ils ont pu dupé de grandes proportions du grand public en leur faisant croire qu'abandonner des droits serait une bonne idée. Si l'UE veut que les Européen.nes comprennent à quel point les droits, la démocratie et l'état de droit sont important, tout en contrant les gouvernements rétrogrades, alors elle doit copier les politiques qu'elle applique hors de ses frontières : l'UE doit protéger et financer les ONG qui promeuvent les valeurs européennes auprès du grand public.