Les communicants spécialisés dans la politique savent bien que le langage que l’on emploie influence la manière dont on aborde une question ou un problème et les solutions que l’on appuie ou non. Par exemple, des chercheurs ont conclu que lorsqu’un crime était qualifié de « monstrueux », les participants de l’expérience étaient davantage enclins à soutenir une politique contenant des mesures sévères. Quand ces crimes étaient plutôt présentés comme un « virus », les participants étaient davantage susceptibles de défendre des réformes sociales. Les acteurs politiques utilisent souvent cette technique du « framing » (consistant à formuler les choses d’une certaine façon dans son discours, en utilisant des termes précis plutôt que d’autres, par exemple) afin de convaincre les électeurs de voter contre leurs propres intérêts. Mais les activistes peuvent répondre en recadrant le débat, en le reformulant, dans leur propre langage, au lieu de répéter les messages de leurs opposants et de contribuer à les diffuser.
Même le nom d’une loi peut avoir une importance capitale
Parfois, les politiques choisissent minutieusement un titre ou une abréviation pour nommer une loi ou politique, de façon à séduire leur base de soutien et à compliquer la tâche des opposants pour que ces derniers fassent passer leur propre message.
Pensez à la réglementation récemment adoptee par l’UE sur les « contenus à caractère terroriste », portant souvent le nom de #TERREG sur les réseaux sociaux. Les ONG de défense des droits numériques, dont Liberties, on critiqué cette proposition de réglementation car ses dispositions sont tellement générales et vagues qu’elle risque de museler la liberté d’expression et le débat public sur internet. Mais à chaque fois qu’une ONG critique la proposition et ses lacunes prévisibles, nous avons presque automatiquement détourné l’attention de notre message en ajoutant que nous soutenons la lutte contre le terrorisme. Au lieu de nous concentrer sur notre message, selon lequel internet est très important pour la démocratie, les activistes ont répété les termes et formules utilisées par l’UE, selon lesquels cette loi combatterait le terrorisme tout en protégeant notre liberté d’expression.
Le titre donné à cette proposition est intentionnel : cette loi lutte contre le terrorisme. Et qui ne sera pas d’accord avec cet objectif ? Le terme est répété par les médias qui analysent ce que les politiques disent. Et les activistes répètent ce titre au moment de le contredire, sans se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’un terme neutre : il a été formulé et pensé dans un but bien précis. Au final, les partisans, opposants et journalistes réunis répètent et mette en avant cette formulation selon laquelle cette loi (lourde et maladroite) lutte contre le terrorisme. Les opposants auraient plutôt dû essayer de renommer cette loi, et faire passer leur message sur l’importance d’avoir un internet libre, et faire en sorte que le hashtag #TERREG ne soit pas le seul point de référence sur les réseaux sociaux.
Parmi les exemples cités par Lakoff, notons la manière dont George W. Bush a présenté les baisses d’impôts pour les plus hauts revenus comme un « allègement fiscal ». Tout en clamant que cet “allègement fiscal” était une mauvaise chose, les démocrates ont contribué à assoir cette façon de penser selon laquelle les impôts sont un fardeau injuste. Et ce parce qu’ils répétaient ce terme et cette formulation.
Nous ne sommes pas obligés d’utiliser les formulations et termes de nos opposants pour les critiquer. Une reformulation efficace pour inverser la tendance, si elle prend. Par exemple, comme lorsque la « community charge » (un impôt impôt forfaitaire par tête instauré au Royaume-Uni) de la première ministre Margaret Thatcher a été rebaptisé « poll tax », terme très impopulaire.
Le gouvernement hongrois excelle pour imposer son langage
Récemment, le gouvernement hongrois aux tendances autoritaires a proposé une loi qui s’est facilement frayé un chemin au Parlement. Orbán l’a présenté comme une loi qui protège les enfants des pédophiles. À chaque fois que des opposants, journalistes indépendants ou gouvernements étrangers a critiqué cette loi en indiquant qu’elle ne « protégeait pas les enfants des pédophiles », ils ont contribué à enraciner cette formulation. Pourquoi ? Parce que notre cerveau marche ainsi. Si je vous dis de ne pas penser à un éléphant, vous pensez à quoi ? Si je vous dis que je ne suis pas un escroc, vous pensez à quoi ? En réfutant directement une formulation tout en l’utilisant à la négative finit par renforcer cette dernière et l’ancrer dans nos esprits. Donc, même si en surface nous pensons expliquer aux gens que cette loi est discriminante pour les personnes LGBTQ, notre public pense inconsciemment que cette loi est là pour protéger les enfants de la pédophilie.
Alors comment les activistes pourraient reformuler cela ? Tout d’abord, commencez par ce que vous défendez : votre cause et pourquoi elle est importante pour tout le monde. Sur cette question, il peut s’agir de rappeler que la plupart de nous avons fait l’expérience de l’amour dans nos vies et que le partage de l’amour et le fait de se sentir proche de quelqu’un est une expérience humaine commune, quel que soit la personne qui nous attire. Ensuite, nous pouvons expliquer le contexte. Le gouvernement hongrois n’a cessé d’inventer des fantômes qui menaceraient la sécurité du pays, l’économie et la culture. D’abord les migrants, puis les philanthropes, puis l’UE. Et maintenant la communauté LGBTQ. Pourquoi ? En partie pour plaire à leur propre base de soutien. Mais désigner des boucs émissaires consiste aussi à diviser et détourner l’attention du public des vrais problèmes. Diviser les électeurs sur des différentes non pertinentes pour qu’ils ne soient pas unis sur des questions comme la fin de la corruption ou une politique d’investissements publics. Et dans ce cas, diviser la fragile coalition d’opposants au régime Orbán en utilisant une question sociale faisant office de pomme de discorde, et ce juste avant des élections. Enfin, il s’agit de revenir à son message principal avant de rappeler aux gens ce qu’ils peuvent faire pour nous soutenir. Cette structure visant à traiter la désinformation et les discours haineux a été intitulée le « sandwich de vérité » (truth sandwich) par Lakoff.
Les journalistes et activistes doivent prendre le temps de réfléchir aux termes qu’ils utilisent dans leurs communications et manières de présenter l’information. À une époque où les acteurs politiques diffusent délibérément des messages trompeurs et haineux, les journalistes doivent se demander si le fait de relayer leurs termes et propose contribue vraiment à informer la population et lui permettre de se faire ses propres opinions. Et les activistes doivent commencer à se concentrer davantage sur leurs messages et sur la cause qu’ils.elles défendent, plutôt que d’insister sur ce à quoi ils.elles s’opposent.