1. Utiliser le "bâton"
La Commission européenne est la gardienne du respect des normes et valeurs de l'UE peut enclencher des procédures d'infraction contre les pays qui portent atteinte à ces dernières, et poursuivre ces États devant la justice européenne. La CE a déjà exercé de pouvoir afin de répondre à certaines lois mises en place par Orbán, lesquelles visaient clairement à réprimer les organisations de défense des droits. Malgré cela, la CE n'est pas parvenue à amener la Cour de justice de l'UE à prendre des mesures d'urgence afin d'éviter les dommages irréparables d'être causés et avait décidé de pas réagir face à d'autres problèmes dont celui de la "taxe spéciale à l'immigration" (qui n'est autre qu'une grave restriction de la liberté d'expression et du travail quotidien des organisations de défense des droits). La CE doit à présente faire preuve de plus de courage, et vite.
La loi d'état d'urgence de la Hongrie porte atteinte aux règles de l'UE au moins de deux façons, ce qui pourrait permettre à la CE de prendre des mesures en réaction à cela.
La menace d'emprisonnement des journalistes et activistes va fortement dissuader les médias, journalistes et activistes de travailler en Hongrie mais aussi de couvrir ce qui se passe dans le pays. Le texte porte atteinte aux règles du marché intérieur, et notamment au droit de continuer et poursuivre des activités dans tout pays de l'UE d'une façon stable ou temporaire (liberté d'établissement et liberté de fournir des services). Ces mesures tombent sous le coup du droit européen, la loi d'état d'urgence porte également atteinte aux dispositions de la Charte des droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression et d'information.
Les pouvoirs élargis d'Orbán lui permettront aussi de contourner le droit européen et le droit national, en violation des fondements du droit européen selon lequel la législation européenne doit être considéré comme supérieur aux lois nationales. En suspendant toutes les élections pour une durée indéterminée, la loi retire aux citoyen.ne.s l'exercice de droits fondamentaux, prévus dans le droit européen, tels que les droits de se présenter et voter aux élections locales.
2. Supprimer la "carotte"
Órban dépend grandement des fonds européens afin de pouvoir "nourrir" ses oligarques. En coupant ces fonds, il serait plus difficile pour lui d'imposer une loyauté chez ces oligarques. La CE avait proposé de réduire les fonds européens pour les pays qui portaient gravement atteinte à l'État de droit. Les gouvernements au Conseil de l'UE et le Parlement doivent à présent s'activer et adopter cette proposition.
Dans le même temps, la Commission européenne pourrait utiliser les pouvoirs qu'elle a déjà à sa disposition pour suspendre les fonds structurels de l'UE pour les gouvernements qui n'ont pas mis en place de garanties suffisantes permettant de s'assurer que c'est argent est dépensé de manière légale. Parallèlement, la CE pourrait suspendre le flux de fonds sur la base des règles de coopération loyale. Il ne fait aucun doute que Orbán a l'intention claire de travailler activement contre les principaux objectifs de l'UE, c'est à dire la promotion des valeurs européennes, telles que la démocratie, l'état de droits et les droits humains.
3. Soutenir les ONG locales
Bien que la pression politique venant du "haut de l'échelle" soit importante et indispensable, il n'est pas possible de protéger la démocratie, l'état de droit et les droits humains sans obtenir également un soutien local. Le futur programme de l'UE "Droits en valeurs" permettrait à l'UE de soutenir les organisations de défense des droits et de la démocratie et de mobiliser le grand public afin de résister aux attaques visant la démocratie et les libertés civiles. Malheureusement, le budget proposé par la CE est bien trop faible pour prétendre donner à ces organisations le soutien dont elles ont vraiment besoin. Cela nécessite un budget correspondant davantage au montant suggéré par le Parlement européen, qui s'élevait à 1,8 milliards d'euros.
4. Protéger sérieusement la liberté de la presse
L'UE réaffirme régulièrement son engagement dans la défense de la liberté de la presse et du pluralisme. Mais les instruments de supervision et contrôle ainsi que les discussions d'experts que l'UE tend à privilégier n'ont pas sauvé la liberté de la presse de la répression mise en place par le régime d'Orbán. Il existe de nombreuses choses concrètes que l'UE pourrait mettre en place afin de faire une vrai différence.
La CE pourrait établir des règles fortes de protection des médias indépendants face aux poursuites judiciaires abusives dont ils font l'objet. L'argent de l'UE pourrait être donné aux médias indépendant afin de restaurer le pluralisme, et une presse libre et indépendante à travers toute l'Union européenne. La CE pourrait également sanctionner les gouvernements qui essaient de prendre le contrôle des médias en utilisant les règles de l'UE en matière de libre concurrence sur le marché.
5. Passez à la prochaine étape de l'article 7
L'article 7 du traité de l'UE prévoit l'imposition de sérieuses sanctions politiques et économiques pour les pays qui portent atteinte aux valeurs de l'UE. Après que la CE s'est montré récalcitrante à l'idée d'activer cet article, le Parlement européen a enclenché la procédure contre la Hongrie en septembre 2018. Les discussions ont cependant "traîné" au Conseil de l'UE, l'article 7 étant resté lettre morte. La commission européenne doit donc adopter une position ferme et appuyer la proposition du Parlement avec une analyse factuelle, comme cela a été le cas pour la Pologne. Et les gouvernements devraient cesser de parler et commencer à voter, afin d'identifier les sanctions qui amèneraient Orbán à s'y prendre à deux fois avant d'attaque les valeurs européennes. La politique du compromis n'a pas endigué la destruction de la démocratie.
Et si l'UE laissait faire, encore une fois...
La loi d'état d'urgence de la Hongrie est dangereuse pour la démocratie, en bien des aspects. La loi autorise Orbán à gouverner par décret sans le contrôle parlementaire et de suspendre certaines lois de façon arbitraire. L'état d'urgence n'a pas de limite dans le temps et le gouvernement peut l'étendre de façon indéfinie. La loi introduit également une nouvelle infraction pénale, permettant d'enfermer les journalistes et activistes qui critiquent le gouvernement.
Cette loi a soulevé de vives inquiétudes chez les organisations de défense des droits civils en Hongrie. L'épidémie de coronavirus induit de nombreux changements pour la société, et comme nous l'avons déjà expliqué dans cet article, la seule façon de traverser cette crise sanitaire est de permettre aux citoyen.ne.s d'exercer leurs droits de demander au gouvernement de prendre les meilleurs décisions possibles concernant la façon dépenser les ressources publiques. En limitant la démocratie et restreignant les droits, les gouvernements retire à ses populations les outils qui leur permettent d'exiger des solutions effectives au cours de la pandémie.
Compte tenu de la dégradation progressive des normes démocratiques en Hongrie ces dix dernières années, passées sous le pouvoir de Viktor Orbán, il n'est pas surprenant que, quelques jours après l'adoption de cette loi draconienne, le gouvernent hongrois fait déjà pression avec des mesures autoritaires en vue de casser toute opposition et restreindre davantage les droits humains. Orbán s'apprête à frapper avec une nouvelle vague de répression visant les derniers bastions des médias indépendants et a même tenté de retirer les pouvoirs qui reviennent aux maires (les seules positions politiques que les opposant.e.s ont été capables de remporter, après que le parti Fidesz a truqué les élections nationales. Orbán ne cherche même pas à cacher le fait qu'il va tenter d'utiliser la loi d'état d'urgence pour attiser la haine à l'égard des groupes minoritaires : un projet de loi (en hongrois) déposé récemment prévoit d'interdire la reconnaissance du genre pour les personnes trans en Hongrie, entre autres. Et cela ne fait qu'une semaine que la loi a été adoptée.
Reste-t-il de l'espoir ?
Le Conseil de l'Europe, les Nations Unies et l'OSCE ont publiquement exprimé leur sérieuses préoccupations quant à la loi d'état d'urgence en Hongrie. Et l'UE dans tout cela ?
Le Président du Parlement européen et quelques dirigeant.e.s de pays membres de l'UE, dont le Ministre des affaires européennes allemand, ont critiqué la Hongrie. L'Allemagne prendra la présidence du Conseil de l'UE dans quelques mois. On devrait voir moins d'avancées concernant l'article 7 que pendant les présidences de la Bulgarie ou de la Croatie.
En outre, les 16 gouvernements qui ont signé une déclaration commune faisant part de leurs inquiétudes concernant "certaines" mesures d'urgence avaient trop peur de nommer directement la Hongrie. Et par la suite, Orbán s'est ri de leur peur en ajoutant la signature de la Hongrie au document. Aussi ne prédit-on pas un grand avenir à l'article 7...
La Président de la Commission européenne, Mme von der Leyen, a publié une déclaration sur les mesures d'urgence, également à destination de la Hongrie, mais encore une fois sans clairement la nommer. On se demande si le Commissaire à la justice et l'état de droit, Didier Reynder, qui a dit sur Twitter être en train d'évaluer la loi d'état d'urgence hongroise, a vraiment apprécié le soutien de sa supérieure.
Les efforts de l'UE seront-ils, une fois n'est pas coutume, mis à mal par les jeux politiques ? Orbán est encore membre du groupe du Parti populaire européen (PPE, conservateurs), le groupe le plus représenté du Parlement européen. Von der Leyen, comme l'ancien Président de la CE, J-C Juncker, appartient à ce même groupe.
Et se peut-il qu'Orbán sorte du PPE ? On s'en inquiète sérieusement au sein de ce groupe. Le PPE ne veut pas perdre de sièges au sein du Parlement européen. Peut-être un accord entre le PPE et d'autres groupes politiques importants au sein du Parlement, amenant chacun d'entre eux à se débarrasser des éléments indésirables (les partis anti-valeurs européennes), ce qui signifie que personne n'en tirera profit, fera l'affaire. Mais cela serait bien difficile à négocier.
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