Si la vigilance et la prévention doivent être de mise dans le contexte troublé actuel et que le gouvernement doit prendre ses responsabilités pour répondre au besoin légitime de sécurité de la population, il est tout aussi important que ces mesures n'empiètent pas de manière disproportionnée sur les libertés citoyennes en mettant à mal certains droits et principes fondamentaux, garants de cet État de droit que les terroristes honnissent.
En ce sens, les mesures de lutte contre le terrorisme entérinées par la Chambre ne répondent pas parfaitement à ce délicat mais primordial équilibre.
Envisageons ces trois mesures.
Extension de la liste des incriminations terroristes
La Chambre a créé de nouvelles incriminations pénales, à savoir pénaliser le départ à l’étranger en vue de commettre un acte terroriste, d’une part, pénaliser l’entrée en Belgique dans le même but, d’autre part. Ces incriminations semblent a priori relever plus de la communication politique que d’une véritable nécessité de politique criminelle. En effet, comme le relève le Conseil d’État dans son avis, il semble que ces incriminations n'apportent pas de plus-value dans la lutte contre le terrorisme, en ce que ces comportements sont déjà couverts par les autres infractions terroristes (appartenance à un groupe, recrutement, tentative, provocation, etc.).
Élargissement des possibilités de retrait de nationalité des personnes qui se sont rendues au Moyen-Orient pour se battre
Cette mesure était sans doute la plus mauvaise réponse à apporter et ce, pour deux raisons: d'une part, parce qu'elle risque de créer deux catégories distinctes de citoyens belges : ceux dont la nationalité ne pourra jamais être retirée et ceux qui risquent à tout moment de pouvoir la perdre. Cette mesure va à l’encontre de ce « vivre-ensemble » que le gouvernement a pourtant appelé de ses vœux. Elle crée un clivage, une inégalité de traitement des citoyens sur base de leurs origines et transforme les «nouveaux Belges» des citoyens de seconde zone. Cette mesure met à mal l'inclusion des nouveaux Belges et des enfants nés en Belgique lorsque les parents sont étrangers et/ou n’y résident pas depuis longtemps, ces enfants risquant de perdre leur nationalité au "profit" d'une autre qu’ils ne connaissent pas. Elle nous semble donc particulièrement excluante et d'autant moins utile et vexatoire qu'elle ne touche quasiment aucune des personnes qui se sont rendues au Moyen-Orient pour se battre.
D'autre part, et la LDH rejoint sur ce point l'avis de magistrats spécialisés dans la lutte contre le terrorisme, parce que le retrait de la nationalité est contre-productif dans le cadre d'une lutte efficace contre le terrorisme. Cette mesure empêchera des personnes qui peuvent encore se réinsérer dans notre société de rentrer au pays, mais elle n'empêchera jamais une personne qui a l'intention de venir commettre un acte terroriste de revenir au pays. En revanche, cette dernière catégorie de personnes, qui constituent une réelle menace pour la sécurité des citoyens, disparaîtra plus facilement des écrans radars et sera plus difficilement surveillée ou interceptée. Cela démontre que cette mesure du gouvernement relève davantage de la communication que de l'efficacité dans la lutte contre le terrorisme.
Retrait temporaire de la carte d’identité, refus de délivrance de passeport et gel des avoirs nationaux
La LDH insiste sur le fait que ces mesures doivent respecter les droits des justiciables et des procédures légales. En d’autres termes, alors que le gouvernement prévoit que ces mesures peuvent être prises par le Ministre de la Sécurité et de l’Intérieur sur avis motivé de l'OCAM (l'Organe de coordination pour l'analyse de la menace qui définit les niveaux d'alerte terroriste sur le territoire belge), la LDH estime qu’elles devraient être impérativement précédées d’un contrôle a priori par un juge indépendant et impartial et suivies d’un contrôle a posteriori en ouvrant un droit de recours aux citoyens concernés afin d’apprécier la légitimité de la décision et, plus globalement, d’éviter toute prise de décision arbitraire. Cette procédure judiciaire devrait également tenir compte de la qualité majeure ou mineure du citoyen concerné. De ce point de vue également, l'absence de toute référence à cette procédure judiciaire dans le texte adopté par le Parlement ne parait pas satisfaisante.
Le contexte troublé ne doit en aucun cas permettre une nouvelle extension inconsidérée des moyens dérogatoires au droit commun et l’évaluation tant attendue de l’arsenal antiterroriste devrait être reprise par la Chambre.