Avec l'indépendance de la Justice polonaise détruite et les services médiatiques à sa solde, le gouvernement polonais s'attaque à sa nouvelle cible : la société civile. Il s'agit d'une grave atteinte à l'état de droit. Nous avons en effet besoin de tribunaux indépendants afin de s'assurer que les gouvernements agissent dans le respect des lois. Nous avons aussi besoin de médias indépendants pour que le gouvernement n'endoctrine pas sa population. Enfin, nous avons besoin d'ONG afin que les citoyen.nes puissent interagir avec les élu.es et responsables politiques et les amener à rendre des comptes.
Avec sa nouvelle loi entrée en vigueur en octobre, le gouvernement du Parti de la loi et de la justice (PiS) contrôle désormais le processus d'attribution des fonds publics pour les ONG. Un nouvel organe, l'Institut national de la liberté (le Centre pour le développement de la société civile), décidera à présent quelles seront les ONG bénéficiaires des fonds publics. Bien qu'un Conseil d'administration supervise le travail de l'Institut, les représentants des ONG ne représenteront qu'un minorité de ce Conseil, les reste des membres étant nommés par le gouvernement. Les représentants des ONG seront donc incapables de bloquer les décisions de la majorité nommée par PiS.
En outre, le cabinet du Premier ministre nommera le directeur de l'Institut, qui aura un grand pouvoir dans le processus décisionnel. Les règles des concours de financement n'étant pas énoncées de manière explicite dans la législation, une part importante de pouvoirs est conférée au directeur dans ce domaine. La loi l'autorise également a déléguer des missions publiques à des ONG en particulier. Cela signifie que le directeur ou la directrice aura pratiquement un contrôle total sur la répartition des subventions.
Politisation de l'attribution des subventions
Le précédent système de distribution des fonds était décentralisé : les organisations indépendantes déterminaient la répartition de l'argent public de l'UE et des subventions de l'EEE de la Norvège (des fonds attribués par la Norvège, l'Islande et le Liechtenstein pour le renforcement des valeurs fondamentales européennes telles que la démocratie, la tolérance et l'état de droit, en échange de l'accès de ces pays au marché unique). Ce processus était transparent et non politisé. Mais avec l'Institut national de la liberté, les fonds seront répartis "indépendamment ou au moyen d'un appel à propositions". Pourquoi deux méthodes? Et que veut vraiment dire "indépendamment"? Cela n'est pas clair. Mais, au cas où les intentions du gouvernement feraient l'objet de doutes, le Sénateur du PiS Andrzej Bobko a indiqué que, de la même façon que le gouvernement ne peut pas utiliser de l'argent public pour soutenir une "organisation dont la mission est de soutenir la théorie voulant que la Terre soit plate", il ne peut pas non plus soutenir une "organisation qui promeut des théories nocives concernant la sexualité", faisant très certainement référence aux ONG de défense des droits LGBT.
Le contrôle du gouvernement de l'attribution des subventions publiques destinées aux ONG pourrait avoir de graves conséquences en Pologne, où la société civile a beaucoup de poids (près de 10000 ONG recensées) : les ONG gèrent près de 8% du système éducatif et presque la totalité des foyers pour sans abris et des associations sportives. Et, bien sûr, ces groupes réalisent un travail très important dans la protection des droits des femmes, des minorités et autres groupes marginalisés, et forcent le gouvernement à rendre des comptes, ce qui est essentiel dans toute démocratie.
Pour mener à bien ce travail, les ONG reçoivent près d'1 milliard d'euros en subventions publiques chaque année, soit du gouvernement, soit des collectivités locales. Le Ministre de la culture, Piotr Glinski, a indiqué que le nouvel Institut était nécessaire en vue de traiter les "besoins des ONG, surtout des petites et locales, qui n'ont pas reçu le soutien approprié". Ce semble vertueux, mais en réalité, la plupart de ces ONG sont rattachées à l'Église catholique dans le pays, tandis que les grandes ONG, telles que la Fondation d'Helsinki des droits de l'homme (FHD) traitent de thématiques pour lesquelles il existe des désaccords avec la politique du PiS, telles que la migration et les droits des LGBT. Donner au gouvernement le contrôle de l'accès aux fonds publics de ces ONG permettrait reverser l'argent aux groupes qui travaillent sur des questions importantes pour le gouvernement, au détriment des autres.
Campagne de diffamation
Le campagne du gouvernement polonais contre les ONG reçoit l'appui des médias pro-gouvernement. TVP1, le principal service médiatique public du pays, très proche du gouvernement, a déjà diffusé plusieurs émissions consacrées aux ONG. Les programmes présentaient les groupes de la société civile comme des criminels, accusant au moins 10 grandes ONG du pays de recevoir leurs fonds à travers un système de corruption.Toutes les accusations émises dans ces émissions n'étaient fondées sur aucune preuve. Au contraire, des graphiques aguicheurs dépeignaient les ONG comme des groupes mafieux, qui se sont enrichis grâce à l'argent du contribuable et qui reçoivent leurs ordres de George Soros...
Le gouvernement a également impliqué les forces de l'ordre dans sa politique de répression visant les ONG. Le mois dernier, deux groupes de défense des droits des femmes qui avaient participé à des manifestations massives contre les restrictions du gouvernement concernant le droite à l'avortement, ont vu leurs bureaux perquisitionnés par la police. Le Centre des droits des femmes, l'une des ONG visées, a considéré cet évènement comme un "prétexte ou avertissement pour le groupe ne mène pas des activités qui ne sont pas conformes aux idées du parti au pouvoir".
Utiliser les médias pour discréditer le travail ou la raison des ONG peut s'avérer très dangereux car cela encourage les citoyen.nes à s'opposer à ces dernières, cela entraînant souvent de violentes conséquences. En effet, les agressions physiques contre les ONG ont coïncidé avec la campagne de diffamation menées par le gouvernement. Début 2016, des effractions ont été commises dans les bureaux de deux groupes LGBT , et l'enquête a rapidement été abandonnée, car les autorités ont affirmé qu'il était impossible d'identifier les assaillants. En juin 2017, a Polzán, des agresseurs inconnus ont saccagé les bureaux du Stonewall Group, une ONG de défense des droits LGBT.
La Pologne dans les pas de la Hongrie
Le tentative de la Pologne de contrôle l'attribution des fonds destinés aux ONG n'est pas sans précédent. En 2014, le gouvernement hongrois a lancé une campagne de diffamation contre les ONG et le gouvernement de Norvège, accusant ce dernier d'utiliser les fonds EEE pour exercer une influence politique en Hongrie. En septembre, des perquisitions de la police ont été menées dans les bureaux de Ökotárs et DemNet, deux ONG chargées de la distribution des fonds de la Norvège. Les domiciles des employés des ONG ont également été perquisitionnés, sous prétexte d'une enquête sur une "gestion frauduleuse des fonds".
Le gouvernement n'a jamais apporté de preuves crédibles pour appuyer ses accusations et l'enquête semble s'est quelque peu "endormie" dans le feu du référendum national sur les quotas de migrants. Piqué au vif par le résultat de ce dernier (le vote a été invalidé en raison d'un nombre trop faible d'électeurs.trices s'étant rendu.es aux urnes), le gouvernement a donc repris ses attaques contre les ONG, créant un nouvel organe chargé de la distribution des subventions et adoptant en juin de cette année une loi qui force les ONG qui reçoivent des fonds depuis l'étranger à se déclarer comme "agent étranger".
La suite ?
Il est encore trop tôt pour mesurer le degré de gravité des conséquences de ce nouveau processus pour les ONG, en particulier pour celles dont le travail est centré sur la migration, les droits des femmes, des LGBT, et des minorités et groupes marginalisés. En octobre, les représentants de la Norvège et de la Pologne ont annoncé un accord qui permettra aux fonds EEE de continuer d'être versés dans le pays. Toutefois, on ne sait pas encore précisément quel sera l'organe chargé de la répartition des fonds. Il semble improbable que la Batory Foundation continue sa mission.
En dépit de cette incertitude, voilà ce qui est clair : le gouvernement polonais a créé un environnement incertain pour les ONG. Les groupes rattachés à l'église qui mènent des activités et défendent des causes approuvées par le gouvernement seront favorisés, alors que les ONG de défense des droits des femmes ou des LGBT verront des coupes dans leurs subventions et une surveillance accrue de leur travail. À présent, le PiS a pratiquement le contrôle total du judiciaire, des médias publics et de la société civile : trois remparts contre l'autoritarisme. Cette situation ne doit pas être tolérée dans l'UE. Il est vital que l'UE affirme sa position contre ce recul démocratique, car dans le cas contraire, ce dernier deviendra normalisé.
Mais le peuple polonais ne doit pas attendre que Bruxelles agisse contre cette nouvelle législation. Des manifestations publiques ont déjà influencé l'agenda politique du gouvernement cette année, lorsque des journées de manifestations massives dans plusieurs villes du pays ont persuadé le président Andrzej Duda d'opposer son véto à deux réformes controversées du judiciaire. Il est désormais temps d'exercer une forte pression publique pour sauver la société civile. Il est aussi temps pour la population de soutenir les ONG à travers le bénévolat et les donations privées (chaque petite aide compte et aide les ONG à résister à la pression du gouvernement). Enfin, l'UE peut passer à l'action, sans nécessairement affronter directement Varsovie : l'UE peut établir un fonds de donation pour la Démocratie, afin de soutenir le travail des ONG oeuvrant dans les pays de l'UE.
Ces organisations travaillent au quotidien pour défendre vos droits et libertés. À nous de les défendre en retour!