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Élections européennes : les partis antivaleurs renforcent leur influence sur la scène politique européenne

Les partis antivaleurs au sein des groupes politiques traditionnels au sein du Parlement européen se sont renforcés. Mais de nombreuses coalitions pro valeurs européennes sont encore possibles au sein du nouveau Parlement.

by Israel Butler

Même si les partis autoritaristes populistes n'ont pas obtenu de majorité (loin de là), il sera difficile pour l'UE de continuer de protéger la démocratie, l'état de droite et les droits fondamentaux. Car les partis antivaleurs au sein des principaux groupes politiques traditionnels au sein du Parlement européen se sont renforcés. Il est encore possible de former des coalitions provaleurs. Mais seulement si les groupes politiques sont disposés à expulser leurs éléments indésirables (ou "pommes pourries") et à travailler ensemble, en dépassant leur affiliation politique.

Comme nous l'avions prédit dans notre Outil de veille #Vote4Values pour les élections du Parlement européen 2019, les partis antivaleurs ont bien renforcé leur influence sur la scène politique européenne et au sein des groupes traditionnels. En d'autres termes, les trois grands groupes politiques du Parlement contiennent des partis antivaleurs. Et les élections ont donné à ces partis un plus grand pouvoir et une plus grande influence au sein des groupes traditionnels au sein desquels ils siègent.

Vous voulez savoir ce que l'on entend par "antivaleurs" ? Découvrez notre méthodologie ici. Vous voulez savoir en quoi les élections du Parlement européen peuvent affecter votre vie au quotidien ? Lisez notre article de présentation du Parlement européen ici.

Dans le graphique ci-dessous, nous vous montrons la composition du Parlement européen à la suite des élections du 26 mai. Ces chiffres se basent sur les données de Poll of Polls de Politico sur les élections européennes, telles que présentées le 27 mai (à 10:54) sur leur site. Cela inclut les résultats définitifs de 6 pays, les résultats provisoires pour 19 pays et des sondages nationaux réalisés à la sortie des bureaux de vote pour deux pays.

Comment les partis antivaleurs ont augmenté leur influence au sein des groupes politiques traditionnels

Les eurodéputé.e.s antivaleurs n'ont pas besoin d'atteindre une majorité en vue de bloque les efforts de l'UE visant à protéger nos valeurs fondamentales, si ces derniers parviennent à influencer les groupes politiques de l'intérieur.

Et les partisvaleurs ont bel et bien accru leur emprise sur ces groupes politiques européens. Ils ont soit augmenté leur nombre de sièges, augmentant leur taille relative au sein du groupe, soit ils sont devenus le parti majoritaire au sein de leur groupe. Voici la répartition au sein des groupes politiques traditionnels :

  • Parti populaire européen (EPP), centre droit : le parti hongrois Fidesz représentait 5,1% de l'EPP, soit 11 sièges sur 216. L'EPP a perdu 34 sièges au total, alors que Fidesz en a gagné deux. À présent, le parti de Viktor Orbán occupe 13 sièges sur 182 sièges, et représente ainsi 7,1% de l'EPP. Il s'agit désormais du 4ème parti de ce groupe derrière les partis allemand (29), polonais (18) et roumain (14). Auparavant il était le 7ème parti le plus représenté.
  • Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D), centre gauche : le groupe S&D comptait 185 sièges avant les élections. Les trois partis antivaleurs au sein du groupe S&D comptaient 17 sièges au total, représentant 9,2% du total du groupe S&D. Ces partis sont le parti Luburista de Malte (qui avait 3 sièges), le parti roumain Partidul Social Democrat (10 sièges) et le parti slovaque SMER (4 sièges). Le groupe S&D a perdu un total de 40 sièges lors de ces élections, tandis que ces trois partis sont restés, à un siège près, au même niveau (seul le parti roumain PSD a perdu un siège). Ces trois partis représentent donc 10,8% du groupe. Si ces trois partis se rassemblent en vue de se protéger mutuellement, seuls les partis espagnol (20 sièges) et italien (19) les "bat" en nombre de sièges au sein de ce groupe.
  • Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) : le parti tchèque ANO et le parti roumain de l'ALDE avaient chacun deux sièges au sein du Parlement européen sortant. Comme cela était prévu, le parti ANO a remporté 6 sièges (+4). Et contrairement aux prévisions des sondages, le parti roumain de l'ALDE n'a remporté aucun siège lors de ces élections. Le groupe ALDE a augmenté sa taille, remportant un total de 110 sièges dans cette élection. Le poids du parti ANO est similaire à celui des deux partis antivaleurs cités lors du précédent Parlement, représentant environ 5,5%. Ce dernier, en plus d'avoir augmenté sa taille et représentativité, est à présent le 5ème parti le plus important du groupe ALDE, alors qu'il comptait auparavant parmi ses plus petits membres.
  • Conservateurs et réformistes européens (CRE), droite et eurosceptiques : le parti polonais PiS (Droit et justice) occupait 14 sièges sur un total de 63 sièges, représentant 22,2% du groupe au sein du Parlement sortant. Le parti a remporté 26 sièges lors de ces élections, tandis que l'ECR est passé à 59 sièges. Aussi, le PiS représente-t-il à présent 44% du total du groupe. Au paravant, le PiS était le second parti le plus important du groupe ECR, derrière le parti conservateur britannique.

On pourrait croire qu'il s'agit de nombres pas si significatifs que cela. Mais le nombre de sièges remportés suffit à conférer aux partis antivaleurs un grande influence au sein des groupes politiques auxquels ils appartiennent, et donc par extension une grand influence sur l'UE. Et maintenant que ces partis ont augmenté leur représentation et influence au sein de ces groupes, les choses ne peuvent que s'aggraver.

Comment les partis antivaleurs pourraient gêner les efforts de l'UE visant à protéger les valeurs fondementales

Les partis antivaleurs ont à présent une plus grande influence en vue de persuader leurs groupes politiques au sein du Parlement de bloquer des mesures de l'UE qui viseraient à protéger les valeurs fondamentales, auxquels ces partis sont opposés. Par exemple, une législation a récemment été approuvée par le Parlement européen, permettant à l'UE de cesser de verser des fonds européens à des gouvernements engagés dans de la corruption à grande échelle ou tentant de prendre le contrôle du pouvoir judiciaire, détruisant ainsi le principe de séparation des pouvoirs. Mais ce type de mesure pourrait être difficile à adopter à l'avenir. Et cela est dû au fait que les partis antivaleurs peuvent désormais exercer une pression sur le reste de leur groupe politique européen afin de voter contre de telles mesures. Et si l'on prend en compte le fait que le groupe de Salvini, l'EAPN, le groupe ECR (sous l'influence du parti polonais PiS) et n'importe quel autre groupe qui serait formé par le Mouvement italien 5 étoiles, s'opposeront à ce type de mesures, alors cela pourrait bien suffire à compromettre gravement leur adoption ou la rendre impossible.

Vous voulez en savoir plus sur l'EAPN, l'ECR et le mouvement 5 étoiles ? Découvrez notre méthodologie ici. Vous voulez savoir en quoi le nouveau Parlement européen affectera votre vie ? Lisez notre article de présentation du Parlement ici.

Si l'on se penche sur le futur immédiat qui nous attend, on peut s'attendre à ce que le prochain budget de l'UE établi sur sept années (Le cadre financier pluriannuel ou MFF, de l'anglais multiannual financial framework) ne comprendra pas de financements appropriés. Par exemple, les partis antivaleurs pourraient utiliser leur influence en vue de bloquer les fonds destinés à un nouveau Fonds de soutien aux organisations de défense et promotion des droits fondamentaux dans l'UE. L'UE a également réfléchi à la création d'un nouveau système de contrôle visant à vérifier la façon dont ses États membres respectent leurs obligations en matière de respect de la démocratie, de l'état de droit et des droits fondamentaux. Les efforts en vue de rendre cela possible pourraient aussi être entravés. Et cela deviendrait presque impossible pour le nouveau Parlement européen d'activer le procédure d'infraction prévue à l'Article 7 du Traité de l'UE, un mécanisme destiné à sanctionner les États qui violent l'état de droit et les valeurs fondamentales, qui a récemment été enclenché pour la Hongrie et la Pologne. Le Parlement pourrait bien se retrouver dans l'impossibilité d'activer cette procédure car l'enclenchement de cette procédure requiert une majorité aux deux-tiers du Parlement, et non pas une simple majorité.

Comment des formations pro-valeurs pourraient se former au sein du nouveau Parlement

Mais il ne doit pas forcément en être ainsi. Les eurodéputé.e.s qui appartiennent aux partis qui sont censé défendre les valeurs fondamentales et la démocratie, l'état de droit et les droits fondamentaux représentent une majorité importante, estimée à 70% du total de sièges. Afin de protéger nos valeurs, ces partis doivent coopérer, et dépasser leur propre affiliation et préférences politiques. Mais le seul moyen de le faire, consiste à expulser leurs partis anti-valeurs dans un premier temps, puis à travailler au sein d'une coalition dans un second temps.

Les principaux groupes politiques n'ont rien à perdre en se débarrassant de leurs "pommes pourries". Et cela parce qu'aucun groupe politique n'a assez de sièges pour gouverner seul de toute façon. Ils devront former des coalitions quoi qu'il advienne. Et si ces groupes expulsent leurs partis antivaleurs, ils disposeront encore d'un nombre suffisant pour atteindre une majorité.

Nous vous présentons ici trois coalitions pro-valeurs européennes qui pourraient être formées si les groupes EPP, S&D et AKDE expulsent leurs partis anti-valeurs.

La coalition comptant la majorité la plus petite serait une "Grande coalition libérale", composées par les groupes EPP, S&D et ALDE, qui atteindrait un nombre de 404 parlementaires, ce qui permettrait d'atteindre une majorité de 28 sièges.

La deuxième coalition la plus grande serait une "Super grande coalition" rassemblant l'EPP, S&D, les Verts et GUE/NGL, qui atteindrait 406 parlementaires, soit une majorité de 30 sièges.


Enfin, la plus grande coalition serait une "Grande coalition + Verts", qui serait composée de l'EPP, S&D, ALDE et Greens (les Verts). Cette dernière compterait 471 sièges, soit une majorité de 95 sièges.

Comment le Brexit peut-il affecter la composition du Parlement

Pour l'instant, nous ne disposons pas de chiffres précis permettant de déduire à quoi ressembleront les groupes politiques lorsque la sortie du Royaume-Uni de l'UE (Brexit) sera effective (cela est prévu pour fin octobre). L'équation ne se résume pas à une simple soustraction du nombre de parlementaires britanniques. Car certains des 73 sièges occupés par des parlementaires britanniques vont être redistribués à plusieurs pays de l'UE pour rendre compte de leur croissance démographique ces dernières années (puisque que la répartition avait été établie il y a déjà un certain temps). De manière générale, on s'attend à ce que l'EPP et de l'EAPN gagnent quelques sièges, et à ce que les groupes ALDE, S&D et Greens-EFA en perdent.

À partir des données des sondages disponibles avant les élections, qui intégraient des calculs alternatifs quant à la taille des parties après le Brexit, il semble que les trois coalitions pro-valeurs présentées plus haut peuvent encore se former.

Le départ retardé du Royaume-Uni de l'UE pourrait bien retarder les débuts du Parlement, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, cela pourraient avoir un impact sur les séances prévues pour établir la nouvelle Commission européenne. Dans le cadre du processus de sélection de la nouvelle Commission, les Commissaires doivent se rendre aux séances au sein du Parlement européen. Le Parlement doit ensuite voter afin d'approuver le nouveau groupe de Commissaires dans son ensemble. Et parce que l'on s'attend à ce que le Royaume Uni quitte l'UE dans quelques mois (et donc que les eurodéputé.e.s britanniques mettent fin à leur mandat au sein du Parlement européen), le Parlement pourrait décider de retarder les séances visant à élire les Commissaires. Dans le cas contraire, les parlementaires britanniques pourraient avoir leur mot à dire sur la composition d'une Commission dont le travail vise à gouverner une Union européenne de laquelle ils ne feront bientôt plus partie...

Ensuite, cela pourrait avoir un impact sur la façon dont les ressources et les pouvoirs sont répartis ente les groupes politiques. Chaque groupe politique au sein du Parlement européen se voit allouer un budget, le droit à certaines positions au sein de commissions du Parlement ainsi que des points qui permettent à chaque groupe de faire une proposition législative. Ces derniers sont distribués en fonction de la taille du groupe. Mais, encore une fois, le Royaume-Uni devant sans doute quitter l'UE lors des cinq prochains mois, le Parlement européen pourrait décider d'attendre que le Brexit soit effectif avant d'allouer ces droits. Dans le cas contraire, il devra revenir sur ses décisions et modifier les allocations établies, une fois que le Royaume-Uni aura quitté l'UE.

L'opportunité offerte par le Brexit

Ces possibles retards représentent un potentiel avantage : les groupes politiques au sein du Parlement européen ont plus de temps que ce qu'ils ne devraient avoir pour négocier un accord de coalition. Cela pourrait, par exemple donner plus de temps aux groupes EPP, S&D et ALDE d'accepter conjointement d'expulser les partis antivaleurs qui figurent dans leurs rangs respectifs, et ce avant que le Parlement européen ne démarre réellement son travail. Les prises de décisions quant à l'adhésion du parti hongrois Fidesz au sein de l'EPP ou encore du parti roumain SPD au sein du groupe S&D, par exemple, avaient déjà été programmées après les élections du Parlement européen. Les groupes politiques pourraient faire de l'expulsion des partis antivaleurs une condition en vue de former une coalition avec d'autres groupes.




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