Peut-être avez-vous déjà entendu l’expression « watchdog », littéralement « chien de garde », qui nous fait penser directement à un chien qui surveille notre maison et nous défend et assure notre sécurité. Et c’est l’idée sous-entendue quand ce terme est employé pour désigner des personnes ou institutions. C’est particulièrement vrai pour le journalisme d’investigation, qui appelle l’attention de la population sur des informations importantes et d’intérêt public, et qui protège la démocratie sur laquelle il veille (à noter qu’en français le terme « chien de garde » désigne au contraire des journalistes qui protègent les intérêts du pouvoir, et c’est pourquoi nous utiliserons ici le terme « journalisme d’investigation » en français ou le terme anglais « watchdog journalism »).
Le journalisme d’investigation : définition
Le journalisme d’investigation cherche à accroître la transparence des politiques et autres figures publiques et institutions et les amène à rendre des comptes. C’est une forme de journalisme d’enquête qui se base souvent sur la vérification des faits (fact-checking), des interviews et des recherches, dans le but de promouvoir une plus grande transparence autour de certaines questions ou événements.
En anglais, le terme « watchdog » (gardien, surveillant, vigilant ou observateur en français) se rapporte souvent à des agences, organisations ou des individus qui jouent un rôle de supervision et qui garantissent que chacun.e respecte les règles du jeu (la démocratie et l’état de droit, entre autres). Par exemple, Liberties est une organisation de surveillance (« watchdog organization ») car elle supervise les comportements et activités des gouvernements et des entreprises pour s’assurer que ces derniers respectent les droits humains de toutes les personnes.
Quel est l’objectif du journalisme d’investigation ?
Le journalisme d’investigation joue un rôle critique dans notre démocratie. Afin d’être en mesure de prendre des décisions éclairées, notamment lors des élections, les citoyens doivent comprendre de manière précise ce qui est en jeu et ce qui se passe dans leur pays. Les hommes et femmes politiques respectent-ils la loi ? Les travaux publics font-ils l’objet de détournements ? Les intérêts des lobbies ont-ils une influence indue sur le processus législatif ? Le journalisme d’investigation cherche à répondre à toutes ces questions. donate title={We rely on your support to keep politicians' bad behaviour in check}]
En le faisant, le journalisme d’investigation (ou pouvons-noud dire « journalisme de surveillance ») protège la démocratie au quotidien, dénonçant les mauvais comportements ou les abus lorsqu’ils ont lieu. En informant les citoyens, cette forme de journalisme aide aussi à protéger l’intégrité des élections et la santé de la démocratie sur le long terme. L’existence même d’un journalisme d’investigation dans un pays est un signe de démocratie en bonne santé. Quand les journalistes peuvent librement enquêter sur les responsables politiques et les entreprises, cela signifie que le pays dispose d’une presse indépendante forte. Il n’est pas surprenant que les dirigeants autoritaires ou aux tendances autoritaires fassent des journalistes d’investigation l’une de leurs cibles prioritaires.
Journalisme d’investigation : exemples
On compte de nombreux exemples où des journalistes d’investigation ont révélé des informations qui ont fait tombé des dirigeant.e.s, des hommes ou femmes d’affaires et permis d’apporter d’importants changements. Chaque exemple aide à souligner l’importance et le rôle essential du journalisme de surveillance, et plus généralement, d’une presse libre et indépendante.
L'affaire Watergate, qui a fait tomber le président américain Richard Nixon en 1974, est sans doute l’un des exemples récents les plus connus. Les journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein, qui travaillaient pour le Washington Post, avaient utilisé des interviews et mené une enquête pour prouver les liens existant entre l’administration de Nixon et des cambrioleurs qui étaient entrés par effraction dans le siège du parti démocrate de Washington. D.C. Nixon avait ensuite démissionné, et cette affaire avait démontré toute l’importance et le rôle des médias dans la révélation des scandales de corruption et d’autres crimes.
En 2009, des journalistes d’investigation de The Telegraph ont publié des informations sur des abus commis par des députés concernant une mauvaise utilisation de fonds publics. Les journalistes avaient dû parcourir environ un million de pages d’informations et avaient révélé une énorme affaire de détournements de fonds. L’enquête avait révélé la portée de ces abus et avait amené plus de 20 membres du Parlement à démissionner.
En 2020, le journaliste zimbabwéen Hopewell Chin’ono a dénoncé une affaire de fraude concernant le ministère de la santé et l’approvisionnement de fournitures médicales visant à lutter contre la Covid-19. Son travail a mené au licenciement et à l’arrestation du ministre de la santé, Obadiah Moyo. 60 millions de dollars auraient été détournés.
La journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia a joué un rôle de protection de la démocratie fondamental dans son pays. Elle a révélé des affaires de corruption, détournements de fonds et abus de pouvoir par des hommes et femmes politiques maltais, et fait la lumière sur les relations obscures qu’ils.elles entretiennent entre eux. Elle aura fait l’objet de menaces, intimidations et de nombreux procès, dans le but de la faire taire et de l’empêcher de poursuivre son travail. Un travail pour lequel elle sera assassinée en 2017.
Que pensent les populations du journalisme d’investigation ?
Dans les pays dont les démocraties sont fortes et en bonne santé, et où la presse est indépendante, le public soutient généralement le journalisme d’investigation. Les citoyens pensent que les journalistes d’enquête doivent être libres de faire leur travail et de publier et révéler les informations qu’ils trouvent sans craintes et sans subir une quelconque influence.
Un sondage d’opinion mené au Royaume-Uni en 2013 montre que les citoyens pensent que les journalistes d’investigation ont un impact bénéfique et important sur la démocratie.
source: https://yougov.co.uk/topics/consumer/articles-reports/2013/10/31/impact-investigative-journalism
Aux États-Unis, en 2020, Pew Research a estimé que près de trois quarts des américains adultes (73%) pensent qu’il est important que les journalistes aient un rôle de surveillance sur les élu.e.s.
Le soutien du public pour les journalistes d’investigation est quand même fort dans les régions où les démocraties ne sont pas réputées solides. Afro Barometer a montré qu’une bonne majorité de citoyens soutenaient les journalistes d’investigation.
source: https://afrobarometer.org/publications/ad85-media_in_africa_world_press_freedom_day_2016
Quel est l’impact du journalisme d’investigation sur la démocratie ?
Le soutien que recueille le journalisme d’investigation ne devrait pas nous surprendre. Les journalistes d’enquête révèlent généralement de nouvelles informations, à la fois pertinentes et intéressantes. Cela permet aux citoyens d’être mieux informés quant aux activités de leur gouvernement, notamment en cas de violations de lois ou de corruption, et de savoir en quoi ces activités ou comportements affectent la société. C’est aussi la raison pour laquelle les régimes autoritaires cherchent autant à réduire au silence les journalistes d’investigation et journalistes indépendants, et à prendre le contrôle des médias.
Les journalistes d’investigation ne renforcent pas la démocratie uniquement en révélant des informations de haute importance. Leur présence même aide à surveiller les activités des dirigeants et des chefs d’entreprises et exerce une certaine pression : s’ils savent qu’ils pourraient s’exposés à des risques pour avoir enfreint les lois, alors ils sont moins enclins à le faire…
Quelles perspectives pour le journalisme d’investigation ?
Le journalisme d’investigation se trouve de plus en plus menacé, notamment par des dirigeant.e.s aux penchants autoritaires, comme en Hongrie ou Pologne, où le pouvoir cherche à réduire au silence les journalistes ou à prendre le contrôle des médias. Les journalistes sont aussi ciblés par un nouvel instrument : les SLAPPS (Strategic Litigation Against Public Participation), des poursuites judiciaires stratégiques contre la mobilisation publique (des procès qui visent à faire taire les journalistes, épuiser leurs ressources, les menacer de fermeture et les décourager de poursuivre leur travail).
Malgré ces menaces, le journalisme d’investigation est plus vigoureux que jamais. Internet et les réseaux sociaux facilitent la diffusion des informations, et met à disposition des usagers une plateforme plus grande que jamais. Cela apporte aussi son lot d’inconvénients et de risques avec notamment la diffusion de nombreuses fausses informations et d’articles qui se réclament du journalisme d’enquête mais qui n’en sont rien. Mais, dans l’ensemble, il est à la fois plus facile de diffuser des informations à davantage de personnes et plus difficile de les réduire au silence. Et c’est une bonne nouvelle.
Le futur du journalisme d’investigation dépendra aussi du niveau de protection dont bénéficieront les journalistes. Comme l’UE l’a vu, les journalistes d’enquête se voient menacés, se trouvent dans l’obligation de fermer, sont poursuivis en justice et parfois même sont assassinés pour leur travail. Des protections juridiques solides sont nécessaires pour les journalistes d’investigation, et ces protections doivent exister et doivent être appliquées au niveau national. Cela doit comprendre des lois qui garantissent l’indépendance des médias et leur pluralisme. Ces lois doivent permettre aux journalistes d’avoir accès aux personnes élues publiquement et doivent les protéger des poursuites judiciaires malveillantes qui ne visent qu’à les museler.